Faut-il parler du fascisme aujourd’hui ?

Faut-il parler du fascisme aujourd’hui ?

Quand j’entends le mot « fasciste » j’ai d’abord une image. C’est un homme en meeting, le premier depuis l’officialisation de campagne. Derrière lui, des personnes jeunes agitent des petits drapeaux français. Devant lui, une foule l’acclame. Nous sommes en décembre 2021. Les partisans sont en pull, en veste, il fait froid, mais tous tiennent fermement leur pancarte « Zemmour président ». Le candidat parle pendant une heure, peut-être plus ou moins. Puis il marque une pause rhétorique « Vous avez peut-être entendu dire que j’étais un fasciste ». Il poursuit en faisant une énumération de qualificatifs. Puis il s’arrête avant de conclure « Moi, fasciste ? Ben voyons ». Dans la même salle, le même jour, la même heure, les poings puis les pieds de deux militants d’extrême droite viennent s’écraser dans les corps d’un bénévole de SOS Racisme1. Ben voyons.

Un autre souvenir vient se greffer au premier. C’est encore une fois un homme, petite barbe, cheveux courts, baskets blanches usées. Face à lui, deux journalistes de Mediapart, dont l’une d’elle lui pose une question « Un mot pour qualifier le moment que nous vivons ?». Benoît Hamon, ancien candidat du PS répond alors « pré-fasciste »2. Nous ne sommes pas encore en décembre quand cette interview à lieu, mais en mai 2021. Un mois auparavant paraissait une tribune dans un journal d’extrême droite : la tribune des généraux3. Beaucoup de propos concernant le soi-disant « déclin de la France », mais surtout une phrase qui se grave dans l’esprit « Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre […], provoquant au final […] l’intervention de nos camarades d’active4 dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles […] ». On appelle ça aussi, dans un vocabulaire plus sincère, un coup d’État militaire ou un putsch. Comme au bon vieux temps à Alger.

Alors que le RN fête ses cinquante ans en ce début de mois d’octobre, ces souvenirs suggèrent en moi une question : faut-il parler du fascisme aujourd’hui ?

Les murs du fascisme

Lorsque l’on commence à s’intéresser au fascisme, nous observons très rapidement des murs. Des murs qui se dressent qui font que ce mot, si lourd, si évocateur d’un passé pesant, n’est pas utilisé dans l’analyse de notre société contemporaine par les commentateurs politiques.

Le premier mur auquel nous faisons face est celui de l’injure et de la confusion. Fascisme se confond avec totalitarisme, avec nazisme. Il est, pour ainsi dire, coincé dans une nébuleuse d’autres mots que l’on considère, à tort, comme synonymes. Devenu une insulte, comme une désignation dont l’exclusif but est d’être outrageant, il perd tout son sens. Si on est toujours le con de quelqu’un, on peut par extension dire également « [qu’] on est toujours le fasciste de quelqu’un »5 pour citer les mots de René Rémond (1918-2007, historien français). C’est une volonté notamment de l’extrême droite que de réduire ce mot à une utilisation purement péjorative. En 2011 Mélenchon l’employait pour désigner Marine Le Pen6, ce qui lui avait valu un procès. Une occasion pendant laquelle a été discuté du sens profond du mot fascisme dans un cadre judiciaire. Un procès qui s’est fini en faveur de l’ex-socialiste.

Mais pourquoi « fasciste » est-il devenu une insulte ? Cela constitue notre deuxième mur. Bien sûr, le phénomène politique ne reflète clairement pas une période de notre histoire occidentale particulièrement glorieuse, bien au contraire. Notre mémoire, au sens historique, y voit le nazisme, l’Italie de Mussolini. En bref, rien que personne en France n’ait particulièrement envie de revendiquer, hormis quelques “déséquilibrés”. Mais se limiter à cette explication serait particulièrement réducteur. Le fait que « fasciste » puisse être utilisé à presque toute occasion tient aussi du fait qu’il n’a été théorisé par aucun idéologue. Si le communisme trouve son origine en la figure de Karl Marx qui a en dressé les lignes principales, si le libéralisme économique est associé à Adam Smith (entre autres), le fascisme n’a pas connu le même processus. Aucun intellectuel n’en a posé les bases claires, sur lesquels se seraient appuyés Mussolini ou Hitler. Non, le fascisme est un mot qui est le fruit d’une observation. De ce fait, sa définition est vague, imprécise. En fonction des chercheurs, les bordures de ce mot varient. Définir le fascisme d’origine, celui qui va de 1918 (en considérant que la frustration des classes moyennes connues en Allemagne et en Italie sont les principaux moteurs de l’émergence de cette forme d’extrême droite) à 1945 (date à laquelle il aurait disparu en même temps que le régime d’Hitler) relève en lui-même d’un débat historiographique. L’historien Olivier Forlin (Le fascisme, Historiographie et enjeux mémoriels, 2013) nous dit à ce sujet « Même si aujourd’hui certaines définitions ou tentatives pour construire une théorie du fascisme présentent des analogies, force est de constater qu’il n’existe pas une définition unique, mais qu’une pluralité d’approches se juxtaposent ». Forlin en dessine des grandes lignes :

  1. D’abord, le fascisme tire ses origines des crises du XXe siècle. Parmi elles, la Première Guerre mondiale est la plus importante, sans pour autant négliger la crise de 1929. De ces événements découlent une banalisation de la violence qui permet l’émergence d’organisations comme les ligues d’extrême-droite et des structures paramilitaires.
  2. S’ajoutent des caractéristiques : la volonté de rassembler une communauté nationale (considéré comme un tout homogène) ; l’idéal de forger un nouvel homme (le mythe palingénésique, volonté de régénérer la nature de l’homme). Aussi, le fascisme est forcément un totalitarisme (régime à parti unique, qui ne peut tolérer une opposition organisée). En ce sens, il est profondément antiparlementaire. Il s’accompagne également d’une forme de culte, d’un mythe, une sorte de religion politique : ce sont des symboles qui puisent leur origine dans des traditions.

De ce fait, lorsque l’on se pose la question « le phénomène fasciste est-il notre contemporain ? », le mur de l’absence de définition précise se heurte à nous. À défaut, nous travaillons avec une idée dont les bordures sont friables si on tente d’en chercher l’essence, et nous nous en tenons à un « air de famille ».

Un troisième et dernier mur existe, et peut-être est-il une spécificité française. Notre pensée, nos études écartent le fascisme comme un phénomène à part entière. Il n’est qu’une parenthèse de l’histoire qui n’a pas connu de véritable succès après 1945 dans les sociétés de l’après-guerre. Au mieux, il s’agirait d’une mutation de la droite particulièrement nationaliste. L’analyse de la vie politique en France s’est passée de cette grille de travail. Le mot « fasciste » est occulté, réservé à son origine historique. Bien que la question soit posée lors des débuts du Front National (après 1972), jamais le mot ne s’émancipe de ses origines.

Prenons pour exemple la classification des droites de René Rémond (1918-2007). Dans Les Droites en France (édition de 1982), l’historien français distingue trois courants différents qui se sont forgés au cours du XIXe siècle.

  1. L’orléanisme reconnaît la Révolution française et s’articule autour d’un exécutif puissant (typiquement un roi), et d’un parlement. Il est libéral au sens politique.
  2. Le légitimisme est à l’opposé, contre-révolutionnaire, réactionnaire. Ce sont les « ultras » qui considèrent que le retour à la monarchie en 1815 n’est pas assez radical. Il n’est pas question ici d’avoir un parlement qui puisse tempérer le pouvoir royal.
  3. Vient la dernière droite : la bonapartiste. Au même titre que les deux autres, celle-ci doit avoir un exécutif puissant. Si elle a en commun avec les légitimistes de ne pas vouloir d’un parlement, elle a néanmoins besoin d’un soutien populaire profond. Cela passe par des référendums, des plébiscites. En d’autre termes, le bonapartisme se bâtit sur le mythe de la rencontre entre un homme et un peuple.

Les droites en France est un ouvrage qui a connu de multiples rééditions et ajouts de la part de son auteur en réponse aux débats qui l’ont entouré. Parmi eux, se trouve notamment la question du fascisme qui est un phénomène exclusif au XXe siècle et qui ne trouve aucune racine avant 1900. Si l’on considère l’axe gauche/droite en politique comme un positionnement vis-à-vis de la Révolution française et de son héritage, le fascisme qui naît en Europe, et non pas exclusivement en France, a une position ambiguë.

S’il est réactionnaire et nostalgique des traditions (fantasmées le plus souvent), il est paradoxalement révolutionnaire. Il se fait le défenseur des valeurs traditionnelles (et civilisationnelles) mais soutient activement l’idée de renverser le système corrompu à ses yeux. C’est ce que l’historien Z.Sternhell appelle « la droite révolutionnaire ». À la différence des légitimistes, les fascistes ont en commun avec la démocratie d’avoir le peuple comme souverain. Mais ces deux régimes expriment cela de manière différente : le premier par un homme dont les actions sont représentées comme la volonté générale, ce qui est une image bien sûr fausse, et le second par un système dans lequel chaque citoyen ne peut pas peser plus qu’un autre et s’exprime par le biais d’une participation à la vie politique. Les fascistes considèrent le peuple de la même façon que les bonapartistes, c’est-à-dire de manière qualitative plutôt que quantitative. Ces considérations obligent Rémond à repenser le fascisme en 1982 et à se questionner sur l’existence d’une possible quatrième droite. Une interrogation phare car, si elle existe bel et bien, demeure la question de savoir qui s’en fait l’héritier dans les années 80. Pour l’historien français, les mouvements qui ont existé en France au cours des années 20-30, voire 40, se rapprochent du bonapartisme, à quelques différences près. Parmi elles, notamment les organisations fascistes : ce sont des partis de masse, c’est-à-dire qui s’adressent principalement aux classes populaires, et notamment aux classes moyennes frustrées en voie de paupérisation. Le but est de ratisser très large dans la société. Ce qui n’est pas le cas des courants du bonapartisme. René Rémond conclut sa pensée par cette phrase « Tout bien pesé, pourquoi ne pas alors [tenir le fascisme] pour une excroissance du bonapartisme, qu’on rattacherait à son aile gauche ? »7.

Tels sont les murs qui rendent l’utilisation du fascisme difficile de nos jours. Il convient cependant de se questionner sur ce phénomène politique. Appartient-il exclusivement au passé, ou au contraire, peut-on l’utiliser pour comprendre notre présent ? Peut-il nous fournir la grille d’analyse qu’il nous manque pour saisir l’extrême droite que nous connaissons actuellement ?

Le fascisme d’aujourd’hui : un fascisme à l’identique ?

Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que l’extrême droite d’aujourd’hui se présente différemment de celle des années 20-30-40. On peut bien sûr s’amuser à jouer aux jeux des sept différences : comparer l’Allemagne de l’après 1918 à la France de 2022. Mais est-ce véritablement pertinent ? Les facteurs qui propulsent ces partis ne sont pas similaires. Nous n’avons pas connu l’équivalent de la Première Guerre Mondiale qui aurait durement touché notre quotidien, voire notre rapport au monde. Considérer que le fascisme originel est le même que celui que nous aurions aujourd’hui est une impasse intellectuelle et politique.

Cependant, notre extrême droite tire ses origines du fascisme, de la Seconde Guerre mondiale. C’est É​​ric Zemmour parlant du régime de Vichy, soutenant des thèses révisionnistes. C’est le Front National fondé par un ancien Waffen-SS de la division Charlemagne Pierre Bousquet et Jean-Marie Le Pen. Le terme fasciste n’est peut-être pas dénué d’intérêt ? Il faut bien sûr prendre tout le recul nécessaire avant d’utiliser ce mot. Empruntons les mots d’U.Pathela et L.Bantigny : « “Fascisme” : nous n’emploierons jamais ce mot à la légère. »8.

En employant ce terme, il nous faut veiller à bien le conceptualiser, à le situer. Sans cela, nous ne ferions que participer à lui faire perdre tout son sens. René Rémond met en garde quant à l’utilisation du terme. C’est une possibilité, mais « à condition que la possibilité d’une généralisation ne justifie pas n’importe quelle extension : pour rester signifiante et opératoire, la notion ne doit pas être diluée jusqu’à se perdre dans un syncrétisme où elle voisinerait avec toutes les formes possibles et concevables d’ordre établi »9. Si le mot fascisme doit être employé, il faut que cela soit fait avec le plus grand soin, au risque de le voir retomber dans le lexique de l’insulte. De là naît l’importance de borner et d’éviter des approches trop vagues tout en mettant particulièrement en valeur les mutations qu’il a subies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le fascisme en mutation

En 2000 arrive en France un nouveau livre d’Umberto Eco : Cinq questions de morale. Parmi les textes présents, l’un d’eux porte ce titre « Le fascisme éternel ». Un peu plus tard, en 2017, cette partie est publiée séparément sous un nouveau titre Reconnaître le Fascisme (édition Grasset).

Pourquoi écrire un tel livre ? À l’évidence, parce que le fascisme tel qu’il a été ne peut se représenter tel quel. U. Eco le dit : « Je ne pense pas que le nazisme, sous sa forme originale, soit en passe de renaître en tant que mouvement capable d’impliquer une nation entière ». Il insiste aussi sur l’aspect difforme de ce phénomène politique, aux multiples facettes (paradoxales parfois) : « On peut jouer au fascisme de mille façons, sans que jamais le nom du jeu change »10 nous rappelle t-il. Mais avant d’en dire plus sur ce qu’est le fascisme aux yeux d’Eco, il faut que nous fassions déjà un aparté sur la conception philosophique sur laquelle il s’appuie.

La définition donnée par l’Italien emprunte à Ludwig Wittgenstein la notion de « jeux de langage ». Quand il s’agit de définir une notion, ce qui nous intéresse est de toucher l’essence. Suivons l’exemple du philosophe autrichien avec le « jeu ». Y a-t-il véritablement un point commun entre les échecs, la théorie des jeux, un jeu d’acteur, le football, un jeu télévisé ? Dans ses carnets, il écrit : « Ne dis pas : « Il doit y avoir quelque chose de commun à tous, sans quoi ils ne s’appelleraient pas des « jeux »– mais regarde s’il y a quelque chose de commun à tous. – Car si tu le fais, tu ne verras rien de commun à tous, mais tu verras des ressemblances, des parentés, et tu en verras toute une série.» Ce que met en valeur Wittgenstein, c’est l’idée selon laquelle nous sommes incapable de définir un concept par son essence. Nous sommes en revanche en mesure de « trouver des aires de ressemblance »11 entre plusieurs éléments, sans pour autant que l’ensemble de ces éléments aient forcément un point commun. À l’image d’une famille, tous les membres ne sont pas réunis par un trait comme la forme de la bouche ou du nez. Mais il existe malgré tout un « air de famille » qui nous fait dire qu’il existe des liens de parenté.

Appliquer cette conception philosophique à notre objet d’étude permet à Umberto Eco de saisir l’aspect trouble du fascisme, voire paradoxal. Son texte s’essaie à dresser une liste des éléments qui caractérisent ce que l’auteur appelle « L’Ur-fascisme », soit le « Le fascisme primitif et éternel ». Il est particulièrement important de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une liste à cocher, mais de points qui gravitent dans la sphère fasciste. Ainsi, « Le terme fascisme s’adapte à tout parce que même si l’on élimine d’un régime fasciste un ou plusieurs aspects, il sera toujours possible de le reconnaître comme fasciste. Enlevez-lui l’impérialisme et vous aurez Franco et Salazar ; enlevez lui le colonialisme et vous aurez le fascisme balkanique ». Ainsi, l’objet est beaucoup plus flexible, en mutation, tout en conservant un « air de famille » qui les regroupe. U. Eco l’illustre à travers des exemples synchroniques, mais nous pouvons l’appliquer également de manière diachronique. L’Italie de Mussolini n’a pas toujours eu une composante antisémite pour ne citer que cet exemple. Chaque point n’est pas le terreau du fascisme, c’est un bout de fascisme en lui-même. Nous pouvons lui ajouter d’autres caractéristiques sans pourtant que la nature même de ce morceau en soit altérée.

Il était pour moi particulièrement important de consacrer au moins deux brefs paragraphes sur la particularité de la conception de U.Eco avant d’en lister les différentes caractéristiques. Car une vulgarisation à outrance de sa thèse nuirait tout bonnement à sa compréhension. Si nous nous étions contentés de comprendre que le fascisme peut perdre des éléments et en gagner ailleurs, nous aurions perdu de vue notre objectif de le borner correctement, et nous serions tombés dans la facilité redoutée par René Rémond. L’objet de notre étude aurait perdu toute consistance, d’où l’importance de mettre en valeur ces quatorze points qui gravitent dans la sphère fasciste autour desquels peuvent se greffer d’autres aspects. Quatorze points qu’on ne peut détacher des uns et des autres. « L’Ur-fascisme » décrit par U. Eco s’appuie ainsi sur :

  • Le culte de la tradition, le traditionalisme : le fascisme s’établit sur une relation particulière avec les vieilles croyances, les vieilles coutumes et pratiques. Ces trois éléments sont la source d’une vérité primitive, quand bien même il peut y avoir des messages contradictoires. Le fascisme prétextera métaphore, illusion, allégorie. Tout est déjà révélé, il suffit de revenir aux textes d’origine. « Il ne peut y avoir d’avancée du savoir. La vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes ».
  • Du fait que « la vérité est déjà énoncée », le régime fasciste s’oppose à la modernité, notamment celle apportée par les Lumières et la Révolution Française. Cela ne le prive pas forcément de la technologie qui n’est pas un fondement de son idéologie.
  • Le culte de l’action pour l’action qui se traduit par une méfiance, voire une hostilité à l’égard du monde intellectuel moderne (qui s’oppose ainsi par essence à la tradition). Penser, réfléchir, critiquer est un affaiblissement, une privation de force. Pourquoi attribuer du temps, de l’énergie, de l’argent à une activité qui n’apporte rien à la cité ? Les penseurs sont des adversaires.
  • Le rejet de la critique et de la prise de recul à l’égard des traditions. « Pour l’Ur-fascisme, le désaccord est trahison ».
  • La critique crée une diversité d’opinions. Or le régime fasciste se veut homogène. Il n’y a qu’une seule identité possible, celle de la nation, de la race (si nous prenons le fascisme du XXe siècle) ou de l’ethnie (si nous prenons le XIXe siècle). Par conséquent, la différence aussi bien dans l’opinion que dans la nation est une crainte. La diversité, un regard différent est amené par l’étranger, l’intrus. « L’Ur-fascisme » se développe ainsi sur une fondation raciste.
  • « L’appel aux classes moyennes frustrées ». Des classes qui connaissent alors une crise d’ordre économique, sociale, ou « la pression de groupes sociaux inférieurs ». Le fascisme ne s’appuie pas sur les personnes qui s’excluent de la vie politique, mais bien sur les classes moyennes qui sont hantées par la peur de descendre dans la hiérarchie sociale.
  • « L’Ur-fascisme » s’adresse aussi à ceux qui ne se reconnaissent pas dans une identité sociale, c’est-à-dire la conscience que l’individu a de lui-même, définie entre autre par sa relation aux autres membres de la société qui lui attribuent également une identité (Cf. Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale (6e éd.), Chapitre 7, Gustave-Nicolas Fischer). Le fascisme réunit ces personnes et les dotent d’un point commun qui les unit tous :« être né dans le même pays ». Mais du fait que le nationalisme ne peut se construire sans se distinguer, il faut créer du même coup un ennemi. Celui-ci est extérieur par essence à la nation car il n’est pas de la même race ou de la même ethnie, mais est en même temps à l’intérieur de la société. Le fascisme nourrit alors une obsession pour le complot qui justifie que ses partisans se sentent en permanence menacés. Il est nécessaire d’avoir cet ennemi, cet étranger extérieur et intrus intérieur, pour justifier le rassemblement en une nation dont la culture serait un tout homogène essentiel. Philippe Corcuff parle d’un « essentialisme culturaliste » (La grande Confusion. Comment l’extrême droite a gagné la bataille des idées, 2020) pour parler de cette différence culturelle qui justifierait la séparation avec toutes autres formes d’identités.
  • L’ennemi doit lui aussi être théorisé. Riche et puissant, mais en mesure d’être vaincu. Suffisamment crédible pour mettre en danger la nation, mais suffisamment faible pour ne pas pouvoir résister face à une « reconquête ».
  • Du fait que l’ennemi est intérieur, caché, qu’il y a un complot contre la nation, le fascisme justifie ainsi son état de guerre permanente : « Le pacifisme est alors une collusion avec l’ennemi ». Cependant demeure l’idée que cet affrontement touchera un jour à sa fin quand l’adversaire sera terrassé à la suite d’une action totale (la solution finale).
  • La société se doit d’être hiérarchisée selon un modèle militaire. Car si chaque individu est issu de la meilleure nation du monde, à en croire les discours fascistes, il faut néanmoins justifier un leader, un guide. Il faut justifier une élite, une méritocratie qui implique le mépris des personnes inférieures à nous dans la hiérarchie.
  • Le culte de l’héroïsme. Chaque citoyen peut, doit devenir un héros. Sa mort est aussi un objectif : il s’agit de l’accomplissement final de la quête fasciste.
  • Une hiérarchisation de la société qui se porte aussi sur la question des genres. L’Ur-fascisme décrit par U. Eco est machiste et condamne « les mœurs sexuelles non conformistes ».
  • Le fascisme considère le peuple comme une valeur qualitative et non quantitative. Cela se traduit par une méfiance, un rejet à l’égard des institutions dans lequel les citoyens s’expriment par le biais d’un vote, et où chaque individu pèse le même poids par le biais de son bulletin. Dans une conception qualitative, le peuple est un tout, un ensemble homogène qui n’exprime que « la volonté commune », le leader l’incarnant naturellement. Il ne dispose en aucun cas d’un droit qui pourrait avoir un impact politique. Ainsi le fascisme est à la fois populiste dans son discours mais surtout antiparlementaire. Le peuple dont il a besoin, pour établir, soutenir sa politique dans l’opinion publique, doit propager, diffuser des réponses émotives auxquelles il reconnaît comme la « voix du peuple ». « Chaque fois qu’un politicien émet des doutes quant à la légitimité du parlement parce qu’il ne représente plus la « voix du peuple », on flaire l’odeur de l’Ur-fascisme ».
  • Dans l’optique où la critique, le recul, les universités sont des sources de divergences, il faut limiter au plus le langage. S’il n’existe pas de mot pour décrire un phénomène, on ne peut parler voire même discuter de ce phénomène. Ainsi il faut promouvoir la « novlangue » (terme qu’Eco emprunte à Orwell bien évidemment).

Loin d’établir une simple liste des caractéristiques fascistes, on remarque à la lecture de U. Eco que chaque point fait appel à un autre. D’où l’importance pour moi de prendre le temps de les décrire plus en détail, les commenter parfois, plutôt que de les énoncer brièvement au risque de leur faire perdre leur substance.

Pour compléter le travail de U. Eco, j’apporterai une remarque qui a été faite par Enzo Traverso en 2017 dans Les nouveaux visages du fascisme. Dans ce livre, il était question notamment de Donald Trump qui a été comparé à de nombreuses reprises à un fasciste. Seulement, si le personnage est éminemment proche de cette sphère, il faut bien reconnaître qu’il n’a pas engendré un mouvement complet à lui seul : « le fascisme ne se réduit pas à la personnalité d’un leader politique ». Cela m’amène à dire qu’il faut distinguer la personnalité fasciste (ou fascisante) du mouvement fasciste, bien que le premier contribue à rendre possible le second. Que penser par exemple d’un homme politique appartenant à l’exécutif qui reproche à un parti d’extrême droite « d’être mou » et qui manifeste devant le parlement ? (Cf. Darmanin, ministre de l’Intérieur). Ce dernier n’est pas en mesure lui-même de mener un changement politique qui ferait passer une démocratie à un régime fasciste, mais il participe néanmoins à la normalisation d’une pensée proche, voire commune à celle en œuvre à l’extrême droite. Quand est-il de cet acteur ? Comment l’analyser ? De là naît une nuance qu’il faut aussi conceptualiser, conscientiser. Enzo Traverso suggère justement l’utilisation de nouveaux termes comme « Néo-fasciste » et « post-fasciste » :

  1. Le « néo-fascisme » caractérise les mouvements qui revendiquent une continuité directe avec le fascisme historique. C’est un phénomène auquel nous assistons en Italie notamment où l’extrême droite affirme volontiers son lien avec Mussolini.
  2. Le « post-fascisme » a lui aussi une matrice fasciste dans son essence, mais ne revendique aucune affiliation avec lui. Il s’en est émancipé, pour former une nouvelle identité politique dont l’idéologie n’est pas encore fixée. Il s’agit d’un phénomène transitoire.

Traverso fait aussi une remarque très pertinente au sujet du « post-fascisme » et de sa relation à la République. Si auparavant l’extrême droite se présentait comme un parti contre le système républicain, voire anti-démocratique à la manière de l’Action Française dans les années 1930, aujourd’hui elle s’en revendique et se fait même l’héritière d’autres traditions politiques. Elle tend de plus en plus à se présenter comme une alternative tout à fait viable. Cela est peut-être le résultat de la « dédiabolisation » menée par Marine Le Pen depuis son arrivée à la tête du parti de son père ?

En parallèle, l’extrême droite trouve aussi des soutiens à l’extérieur de son cercle habituel qui se font les relais de ses idées. Des personnes qui rendent légitime les thèmes. Des acteurs qui participent à la fascisation des esprits.

Ce qui mène au fascisme : la fascisation ?

J’emprunte à Ludivine Bantigny et à Ugo Palheta un mot qu’ils utilisent à de très nombreuses reprises dans Face à la menace fasciste : « la fascisation ». Nous sortons d’une analyse purement historique et nous nous aventurons dans des perspectives plus sociologiques. Il s’agit de saisir, d’expliquer, de comprendre pourquoi une société démocratique peut être séduite par des partis, des hommes et des femmes qui appartiennent à la sphère fasciste (ou post-fasciste si l’on utilise les mots de Traverso).

En ce sens, il ne faut pas seulement se tourner vers les partis « post-fascistes » ou « néo-fascistes », mais également vers les acteurs qui gravitent autour, qui participent à la banalisation, qui rendent légitime « l’alternative » de l’extrême droite. Les deux universitaires résument : « si les fascistes parviennent généralement à obtenir le pouvoir par voie légale […] c’est que cette conquête est préparée par une période historique de fascisation. »12.

Cela est rendu possible par plusieurs facteurs. Prenons d’abord la crise sanitaire : sa gestion que les auteurs qualifient « d’autoritaire » a été un tremplin pour les thèses conspirationnistes. Les différentes théories du complot ont fleuri, justifiant une défiance de plus en plus importante contre le système, auquel s’attaque justement l’extrême droite.

Le maintien de l’ordre durant les manifestations a également été un facteur. On a ainsi vu des vidéos de CRS frappant des personnes à terre, blessant, mutilant, nassant devant l’Assemblée Nationale même. Le préfet Lallemand parlait lui-même d’une doctrine « du contact »13, là où auparavant les forces de l’ordre favorisaient une issue diplomatique. Cela a aggravé un sentiment d’insécurité parmi les manifestants. Face à ses bavures policières, le gouvernement nie, Macron, Castaner aussi bien que Darmanin. Ces observations peuvent aussi s’étendre à la gestion de l’ordre dans les quartiers populaires qui connaissent des contrôles au faciès et des bavures régulières, comme le rapportent William Bourbon et Vincent Brengarth dans Violences policières, le devoir de réagir (Gallimard, Collection Tracts, 2022). Ces faits, ignorés par le pouvoir exécutif, contribuent à donner un sentiment (justifié ?) d’injustice face à une police qui outrepasse ses devoirs premiers au profit d’une orientation politique se traduisant dans ses actes et dans ses votes.

Conclusion : pour le retour du mot fascisme

Je disais avant d’écrire cet article à une amie et collègue que le fascisme renvoyait à deux imaginaires. Le premier est le plus connu, et fait allusion à au début du XXe siècle, à l’ère des masses. On y voit des grandes figures ignorées par personne, comme Pétain, Mussolini, Hitler. C’est aussi des régimes politiques, des horreurs commises.

Le second imaginaire est bien moins mobilisé : le fascisme non pas comme référence historique, mais comme un qualificatif politique contemporain. Face à lui se dressent des murs qui rendent son utilisation compliquée : l’insulte, l’impensé, un bornage difficile (même pour la période historique). Nous aurions pu nous passer de son emploi. Mais je suis poussé à penser que nous nous passerions d’un outil pour comprendre notre vie politique contemporaine. Bien sûr, les phénomènes de 1920-1945 ne sont pas exactement les mêmes que ceux que nous observons aujourd’hui. Il est inutile de jouer au jeu des sept différences car cela serait concevoir l’histoire comme une science exacte dont le dessin est de prédire l’avenir. Il n’en est rien ici. Cependant, les événements du passé peuvent nous aider à comprendre notre temps. Comme le dit si bien Umberto Eco « Nous devons veiller à ce que le sens de ces mots ne soit pas oublié de nouveau. […] Ce serait tellement plus confortable si quelqu’un s’avançait sur la scène du monde pour dire « Je veux rouvrir Auschwitz […] » Hélas, la vie n’est pas aussi simple »14. C’est peut-être pour cela que nous devons employer le mot fasciste. Avec prudence bien sûr, en gardant à l’esprit toutes ses caractéristiques, sans jamais en faire une injure. Car il nous revient la tâche de faire en sorte que le fascisme ne soit pas au pouvoir.

Finissons avec une note littéraire, venu de V pour Vendetta d’Alan Moore. Son personnage, V, vient alors de s’introduire dans les locaux de la télévision du parti : « Oh bien sûr, la direction est mauvaise […] – Nous avons eu une bande d’escrocs, d’imposteurs, de menteurs et de déments qui ont pris une suite de décisions catastrophiques. C’est un fait ! – Mais qui les a élus ? – C’est vous ! Vous leur avez donné ces responsabilités, et le pouvoir de prendre ces décisions à votre place ». L’adaptation filmique le dit autrement « à qui la faute ? […] pour être honnête, si vous cherchez les coupables, regardez-vous dans un miroir ».

Gabriel Gardet-Mulliez

Webographie

https://www.lemonde.fr/politique/article/2014/03/06/a-t-on-le-droit-de-qualifier-marine-le-pen-de-fasciste_4379198_823448.html

https://www.youtube.com/watch?v=zq6hw8RSLBo (Interview de Benoît Hamon dans à l’air Libre, Mediapart)

https://www.radiofrance.fr/franceculture/dire-fascisme-en-2021-abus-de-langage-ou-clairvoyance-9275749

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/16/ordre-public-l-affrontement-ne-garantit-pas-la-securite_6130540_3232.html

https://www.valeursactuelles.com/politique/pour-un-retour-de-lhonneur-de-nos-gouvernants-20-generaux-appellent-macron-a-defendre-le-patriotisme/

Bibliographie

Reconnaître le fascisme, Umberto Eco (2017)

Le fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels, Olivier Forlin (2013)

Introduction à Wittgenstein, Rola Younes (2016)

Les droites en France, René Rémond (édition de 1982)

Violences policières, le devoir de réagir, William Bourbon et Vincent Brengarth (tract Gallimard numéro 38, avril 2022)

Les nouveaux visages du fascisme, Enzo Traverso (2017)

Face à la menace fasciste, Ludivine Bantigny et Ugo Palheta (2021)

Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Gustave-Nicolas Fischer (2020)

La grande confusion. Comment l’extrême droite a gagné la bataille des idées, Philippe Corcuff (2021)

Illustrations

L’ensemble des illustrations a été généré par l’intelligence artificielle Midjourney à partir des mots : speech ; facism ; three colors.

Notes de l’auteur et de la rédaction

L’archéologie que nous construisons

L’archéologie que nous construisons

Proposition d’orientation à l’adresse de la profession et des autres secteurs

Ce texte a été rédigé par des membres des Groupes Archéo en Lutte (GAEL) durant le premier confinement ayant duré du 17 mars au 11 mai 2020. Dans le sillage de cette réflexion générale, les revendications qui suivent ont quant à elles été formulées lors de la première rencontre d’été des groupes, en août 2021. Le but était de dessiner un horizon au présent que nous vivons et qui manque cruellement d’une proposition sur laquelle fonder notre action.

Affaiblie, l’archéologie est dans le collimateur des géants du BTP soutenus par l’État, comme des potentats locaux, promoteurs et hommes politiques. Déjà, le décret du 8 avril 2020, donnant aux préfets les pleins pouvoirs relatifs en matière d’aménagement du territoire dans le cadre du plan de relance, avait été rude. Entre-temps, la réduction de moitié du budget des fouilles programmées, ces fouilles-écoles indispensables à la formation des archéologues, a condamné des chantiers (Cf. Communiqué du 22 février 2022). Durant ces vacances ce fut encore la tentative de déstabiliser le cadre légal des opérations préventives (interventions archéologiques avant construction), soit le pivot professionnel de l’archéologie, par une loi de dérogations ambiguë. Celle-ci sous-entendait que les diagnostics préliminaires ne sont pas essentiels. Cette mesure a été retirée, mais l’attaque a été frontale.

Pour ce qui est des droits au salaire, ils s’amenuisent à mesure que le gouvernement monopolise la vie publique et que l’individualisme concurrentiel progresse. Les attaques contre les droits sociaux et les solidarités se poursuivent. Une nouvelle réforme de l’assurance-chômage risque encore d’ajouter des restrictions aux restrictions et de faire drastiquement baisser nos prestations (déjà fortement impactées, parfois de moitié pour les nouveaux entrants). La réforme des retraites revient sur le billard pour faire travailler plus longtemps. Enfin, le RSA va perdre son inconditionnalité : d’ici 2024, il faudrait travailler entre 15h et 20h pour y être éligible. Le tout alors que l’inflation, à peine contenue, atteint en France les 6 % et que l’augmentation des profits ne signe pas la fin de l’abondance pour les monopoles1.

Dans ce contexte, l’ébauche suivante peut servir de base de réflexion au développement de grands principes collectifs. Contre la raison instrumentale et gestionnaire constamment à nos trousses, l’enjeu est le même partout : trouver le moyen d’exprimer la souveraineté des producteurs sur leur travail.

L’archéologie que nous construisons est une archéologie qui réfléchit aux identités et aux modèles sociaux pour contribuer à l’émulation critique.

Celle qui tend au dépassement des préjugés de notre modernité se concevant comme unique et absolue : absolument indépassable. Nous faisons à l’inverse l’expérience de la discontinuité par nos travaux de fouilleurs et de chercheurs. Ils nous permettent d’affirmer que non, le progrès n’est pas continu, mais soumis à des flux et des reflux. La seule constante est celle de l’événement qui surgit et déstabilise, parfois reconfigure en profondeur lorsque les gens s’en saisissent collectivement. D’ailleurs, si nos vies se déroulent de manière si peu linéaire, comment pourrait-il en être autrement de l’Histoire ? Notre discipline, étudiant les vestiges matériels des sociétés, disparues ou non, se doit de contribuer à une pensée active et engagée sous peine de se dénaturer, de se désagréger dans une science de la neutralité neutralisée. Elle est en effet par essence une science de partis pris et d’expérimentations s’étant inventée dans l’adversité, face à ces mêmes pouvoirs politiques et économiques détruisant lien social et patrimoine avec une férocité renouvelée.

Exploitation forestière en marge de vestiges archéologiques. Alentours de Rothau, Bas-Rhin, été 2021. Photo, Alaoui O.

L’archéologie souhaitée est une archéologie qui se situe à l’opposé de la glorification du passé et des intérêts purement économiques accentuant inégalités de richesse et de pouvoir : des romans nationaux reconstruisant une grande histoire partagée par toute la population sous le prisme de l’union sacrée, au processus de domination des hommes sur les femmes s’adossant à des présupposés biologiques et culturels universalistes erronés, confinant au fatalisme, au vu de la richesse des exemples ethnographiques et historiques à notre disposition. Notre discipline est aussi capable de remettre en cause la vision essentialiste des origines ethniques justifiant tous les fantasmes identitaires d’homogénéité raciale prenant corps dans des politiques excluantes, discriminantes et ségrégationnistes, que le confinement a rendu encore plus visibles2. Notre discipline est encore capable de réduire à une simple expression contingente les limites imposées par les frontières comme cadre spatial et mental indépassable et indispensable. Alors même que l’humanité a pris forme par d’imposants mouvements migratoires, ce schéma de partition du territoire paraît dérisoire à l’échelle de l’histoire.

Ainsi, comme les réponses à ces enjeux sociétaux, la réponse à la crise sanitaire aurait pu tirer des leçons d’une myriade d’études fiables s’intéressant aux stratégies de survivance et d’adaptation des populations et des civilisations passées.

Une archéologie rigoureuse et transparente dans la collecte des données, et honnête dans ses démonstrations.

C’est-à-dire qui se laisse du temps pour critiquer, raconter et dialoguer, et non simplement « communiquer » et « récolter » durant des rencontres convenues et bien souvent verrouillées par des protocoles. Ceci implique de tisser du lien dans des dynamiques de coopération et de partage, bien au-delà des logiques privatives3 et des limites supposées de la discipline. L’époque que nous vivons semble décisive, pleine d’écueils et de possibilités.

Parmi elles se trouve l’horizon d’une archéologie comme l’un des points de jonction des sciences humaines et sociales. Notre petit monde est à la fois pris dans les rapports de force politiques de l’aménagement (habitation, transport, énergie, industrie, etc.) (Cf. Misères de l’archéologie), dans l’engrenage des évolutions techniques et scientifiques, mais aussi des grands champs de réflexion animant nos sociétés. C’est pourquoi les archéologues ont besoin d’à peu près toutes les disciplines pour analyser et interpréter ce qu’ils mettent au jour, contribuant ainsi à une anthropologie intégrale posant la nécessité de la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel.

Ossements de faune fraichement déterrés. Bas-Rhin. Photo, François Magar

La crise sanitaire dont nous sortons à peine a par exemple été prétexte à la privatisation de l’espace public. Le décret du 8 avril 2020 (2020-412) permet aux préfets de passer au-dessus des différents codes en vigueur (Construction, Urbanisme, Environnement, Patrimoine…) qui, jusque-là, garantissaient le contrôle du territoire par la puissance publique censée nous représenter. Le plan de relance économique condamne de fait ce qui est considéré comme des « contraintes administratives » par les politiques et les aménageurs, notamment celles de l’archéologie. Cette mesure accentue encore la rupture anthropologique, symbolique et matérielle, entre nature et civilisation que nous connaissons depuis l’amorce de l’ère marchande et industrielle. Celle-ci, qui fait force de loi, se développe sous le règne d’une technique mise au service d’un travail mort où la machine remplace progressivement l’humain par souci d’économie, réduisant la valeur de ce qui est produit.

Cette logique, qui fait désormais irruption dans tous les aspects de nos vies, considère que tout est potentiellement matière première à exploiter, à moindre coût et pour un maximum de rendement. Elle met aujourd’hui en péril jusqu’à l’espèce qui l’a systématisée. L’archéologie, par son recul temporel unique, ne peut plus se contenter d’accompagner et d’entretenir cet état de fait comme une chose allant de soi. Elle ne peut plus se contenter de déblayer passivement, à un rythme qui ne permet pas même un travail scientifique de qualité, les terrains confisqués par les grands groupes au nom de projets de lotissements bétonnés et de zones industrielles vidant villes et villages de leurs producteurs.

Une archéologie qui fonde sa pratique sur des principes égalitaires et démocratiques tout aussi rigoureusement appliqués que ses méthodes scientifiques.

C’est-à-dire une archéologie réellement tournée vers la société, transmettant données, connaissances et méthodes, y compris à l’échelle locale. Car c’est aussi à ces niveaux, à ces plus fins niveaux de proximité, que toutes les spécificités d’un travail peuvent être saisies et mises en valeur. Après avoir appliqué la bonne démarche scientifique, nécessitant retrait, discours raisonné et argumenté4, il s’agit en effet du second défi du chercheur, de la seconde étape (indissociable de la première) de sa responsabilité : accompagner le cheminement de sa production au sein de la société. Un engagement qui évite bien des instrumentalisations ainsi que l’écueil de l’expert en surplomb. Le scientifique toisant de son promontoire de savoir la collectivité.

Le contenu pédagogique doit permettre, par sa forme, d’alimenter cet élan de curiosité qui est le moteur de notre démarche et l’un des fondements de ce qui n’est pour nous pas réductible à un emploi, mais qui s’exprime en une véritable passion. Actuellement, nous ne pouvons plus nous contenter de journées portes ouvertes nationales servant de cache-misère et, même indirectement, de vitrine commerciale à des entreprises cherchant à se placer sur le « marché du patrimoine » (depuis l’ouverture à la concurrence en 2003). Celles-ci ne suffisent en rien et ne permettent sans doute pas une compréhension active (celle qui modifie son rapport au monde) de la part du public. Elles se placent de plus en plus du côté du divertissement culturel.

Prospection dans le cadre des activités d’une association locale d’archéologie. Bas-Rhin. Photo, François Magar

Les institutions n’ayant plus la capacité de s’ouvrir largement à la société, asphyxiées et asséchées par les logiques managériales et concurrentielles, à l’instar de l’Université, d’autres cadres doivent être investis et développés pour inverser la tendance. Partout nous devons prendre une position claire contre les arguments d’autorité émanant de grandes figures, le plus souvent masculines, qu’on ne pourrait remettre en cause du haut de leur statut d’expert. Nous l’avons constaté durant le confinement, l’aura d’une carrière médiatique et des publications nombreuses prennent le pas sur le fond ; le discours polémique sur le débat argumenté. Ce principe démocratique peut être facilité par le cadre qu’offre l‘association, et ses multiples variantes, ayant largement contribué à l’ancrage vivant de notre discipline auprès d’un public demandeur. C’est cette forme, la plus inclusive existante, qui est pourtant en difficulté par manque de financements, de reconnaissance et de temps d’engagement nécessaire à leurs acteurs.

En réalité, notre discipline porte en germe les fondements permettant de dépasser les clivages sociaux d’un monde, accumulateur et genré, qui montre plus que jamais ses limites. Et pour cause, elle permet de parler historiquement des antagonismes, tout en s’y confrontant au présent : villes/campagnes, exécutants/concepteurs, institutions/société, écologie/économie, homme/femme, etc. Sa force réside bien en ce qu’elle est à la fois du côté de la conscience historique et du vécu le plus pragmatique.

Une archéologie qui doit donc former des archéologues capables d’une prise de recul historique et spatiale, mais encore de remettre en cause l’organisation du travail à partir de leur vécu et de leurs besoins concrets.

L’archéologie étant par nature à la croisée des disciplines et des pratiques, son enseignement gagnerait à s’ouvrir largement aux autres disciplines. Elle permettrait à l’étudiant de pratiquer le dialogue dans la recherche avant même d’exercer le métier, et ainsi d’éveiller sa capacité critique pour juguler une passivité endémique à notre mode de vie. En outre, l’enseignement universitaire permettrait d’explorer l’archéologie dans toute son application actuelle par le biais des associations, acteurs incontournables sur le terrain, des fouilles programmées et de l’archéologie préventive. L’étude de la culture matérielle nécessitant une approche de l’enseignement par la technique, systématiser les échanges avec des associations de reconstitution et des artisans offrirait une connaissance approfondie des processus de production d’un objet et de ses modes d’utilisation. Dans cet enseignement, la séparation entre filières professionnalisantes et filières consacrées à la recherche n’aurait plus lieu d’être : l’archéologue exercerait à nouveau un métier complet, à la fois pratique et intellectuel.

Dans son application actuelle, notre monde, en tant que discipline à cheval entre le BTP et la recherche, est un microcosme représentatif du niveau de dégradation de nos sociétés. L’archéologie préventive notamment, opérant en amont des chantiers, est particulièrement soumise à la pression des impératifs économiques et politiques qui instaurent le conflit d’intérêts comme système5 : le donneur d’ordre, également garant de la qualité scientifique des chantiers, se trouve dans une situation d’entre-deux déséquilibrée. Il est évident que l’analyse scientifique qui conduit aux prescriptions archéologiques devrait être exercée dans un cadre indépendant du dispositif administratif actuel. Elle offrirait alors une version d’analyse véritablement libre, totalement dégagée des intérêts du pouvoir et du temps économique pressurant la recherche de terrain.

La perte de sens dans le travail prend donc racine dans ce rapport de force souvent défavorable6 qui conduit à une vision partielle des sites étudiés. Mais elle réside également dans la division des tâches nuisant à la qualité scientifique d’un travail qui, devenu répétitif, finit par être accompli sans passion par des « techniciens de fouille ». Alors que le fouilleur, comme tout chercheur, se doit de comprendre ce qu’il fait et pourquoi, au nom de quoi et pour qui, il est de plus en plus utilisé comme simple exécutant, qui plus est, embauché sur de courtes périodes (en CDD ou en intérim) en fonction des besoins générés par le rythme de l’aménagement.

Relevé de fouille dans le cadre d’une thèse universitaire. Bas-Rhin. Photo, François Magar

La fin de ces catégories de statut (fouilleur/chercheur) et de contrat (précaire/stable) permettrait de remettre en cause la division du travail séparant métiers manuels et intellectuels, là ou l’archéologie se veut totale dans sa pratique. Et par là de lutter structurellement contre les inégalités de condition et le phénomène de lassitude, voire d’abandon, notamment causé par les effets délétères (physiques et psychologiques) de la répétition fordiste des gestes.

Enfin, la lutte conséquente contre le machisme, omniprésent sur les chantiers et à l’Université des potentats où l’omerta règne, commence par des situations salariales stables et protégées, qui permettent une réelle implication des personnes pour leurs droits, sans crainte de sanctions, particulièrement celles s’effectuant clandestinement. Sans ce changement, tous les efforts pour juguler ces attitudes seront au mieux, vains, au pire, simples postures ou stratégies de communication.

Car la question est comment renouer avec la possibilité de bien faire des choses pertinentes ?

Actuellement, l’organisation du travail transforme une situation où, a priori, nous aimerions œuvrer rigoureusement à notre métier, en impasse, tant nous sommes privés des conditions pour bien faire. Ce qui n’est absolument pas spécifique à notre secteur. Chercheurs, enseignants, soignants, cadres et ingénieurs désertent pour cause de mauvaise rémunération, mais surtout en raison de conditions de réalisation tellement saccagées, qu’il leur devient impossible d’entretenir l’envie d’œuvrer aux tâches qu’ils devraient pourtant pouvoir réaliser avec passion et engagement. La « crise des vocations » se généralise et découle de ce qu’il est intolérable de soigner au chronomètre, de concevoir de l’inutile, d’enseigner n’importe quoi ou de fouiller n’importe comment. Qui plus est en sous-effectif et pour si peu de valorisation sociale.

Une archéologie viable serait en définitive une archéologie basée sur le rythme de la maturation des idées, de l’imprévu des découvertes et du repos des corps.

Ce qui induit que nous devons être les organisateurs de nos métiers, sans contremaîtres ni trame hiérarchique, si ce n’est d’expérience, afin de libérer du temps salarial pour étudier (d’autres disciplines), pratiquer (d’autres formes de connaissance), se tourner vers des activités sociales ou militantes (enseignement, sport, associations, syndicalisme, etc.), et développer sa singularité en toute intimité (familiale notamment). Un temps partiel en temps complet qu’il faut souhaiter à toute la société, appelant la garantie d’un salaire lié à la personne comme droit politique. Une rémunération qui serait donc détachée du poste (auquel l’emploi nous assigne), toujours soumis à l’arbitraire d’un marché faussé par la logique de la course aux profits (ce qu’ils appellent l’offre et la demande).

D’où la nécessité de défendre, d’améliorer et d’étendre le statut de fonctionnaire, la logique du salaire continué de l’assurance-chômage, des retraites et de l’intermittence ou, plus globalement, du régime général de la Sécurité sociale. Autant d’institutions du travail édifiées par le mouvement social et qui portent en germe la logique de la richesse socialisée gérée par les premiers concernés : les citoyens-producteurs. Cette logique permet en effet d’envisager un système basé sur la subvention et un salaire détachés des aléas du marché, du diktat des financeurs et de l’arbitraire patronal7.

Fouille dans le cadre des activités d’un association locale d’archéologie. Bas-Rhin. Photo, François Magar

Si nous adhérons à cette vision du travail où la valeur est contenue dans l’acte en lui-même, dans le fait de faire, de mettre en œuvre, les stages en fouilles programmées, parfois payants, toujours non rémunérés, doivent être revus (Cf. Communiqué du 22 février 2022). Pourtant obligatoires dès la deuxième année de licence, ils aggravent la précarité étudiante en plus d’instituer l’idée que l’archéologie, c’est ça : du bénévolat au service d’une science de plus en plus privatisée. Une colonie pédagogique où l’exploitation est normalisée et justifiée par la catégorie « job passion ». En l’état, génération après génération, ils distillent insensiblement un réflexe de servilité par une situation donnée comme toute naturelle. Oui, vous, futurs adultes indépendants, citoyens critiques, scientifiques et chercheurs, devez sacrifier vos mois d’été que les bourses ne couvrent pas (39 % des étudiants sont boursiers, 40 % travaillent), et vous faire à l’idée que vous ne pourrez pas travailler parce que vos stages obligatoires vous l’imposent. Des stages cher payés qui, à la fin de votre cursus (avec entre trois et dix ans d’études au compteur), débouchent sur une décennie de CDD à la volée !

Fouille dans le cadre des activités d’un association locale d’archéologie. Bas-Rhin. Photo, François Magar

L’archéologie n’a décidément pas à être cette épreuve de force.

Par les potentialités rénovatrices que porte l’archéologie, cette science sociale et politique capable de remettre en cause les dogmes de l’éternel ou de l’immuable justifiant exploitations et dominations toujours construites, nous nous engageons à poser les jalons d’un travail libéré, conforme à nos aspirations et à nos besoins. Nous nous engageons aussi à repenser collectivement l’ensemble de nos institutions sociales, politiques et économiques aux côtés des autres secteurs.

Conscients du désastre de la civilisation capitaliste, nous appelons chacun et chacune à rallier les luttes susceptibles de contribuer à la constitution d’un rapport de force social conséquent. Nous encourageons également à rejoindre, chacun à son échelle, toutes les initiatives permettant d’avancer vers la formulation d’une proposition commune désirable dans la perspective de rompre avec le mode de production ayant mené aux crises environnementales, sociales et démocratiques qui menacent aujourd’hui nos conditions d’existence.

Des propositions comme boussole

L’objectif des Groupes Archéo En Lutte est de produire des réflexions collectives à même de guider notre action au sein des secteurs de l’archéologie (Cf. Plateforme de revendications provisoires). Nous nous sommes mis d’accord sur plusieurs axes revendicatifs nous paraissant essentiels afin de constituer un horizon commun à nos luttes. Plutôt que de rester cantonné à des revendications défensives contre la dégradation des conquêtes sociales, l’objectif est de se livrer à la discussion d’un contre-modèle à ce qui nous est imposé, à savoir l’individualisation de nos parcours dans le cadre de la concurrence économique libérale : les petits contrats au lance-pierre (CDD, CDI chantiers, contrat de projet), le statut d’auto-entrepreneur, la disparition programmée de la protection sociale.

1. Élaborer une sécurité sociale adaptée à notre métier sous la forme d’un salaire continué inspiré du régime de l’intermittence/assurance-chômage, mais débarrassée des normes libérales injectées par les contre-réformes successives de ces dernières décennies (un quota d’heures à faire dans le mois, le contrôle des parcours par le système des cachets, la limitation des indemnités dans le temps pour forcer à la reprise (comme si elle dépendait des bénéficiaires) …). Cela permettrait aux CDD, par leurs cotisations, de libérer du temps pour publier, communiquer, participer à des projets associatifs ou de médiation, penser à l’organisation de la discipline, défendre leurs conditions de travail ou simplement s’investir ailleurs (dans d’autres domaines). L’enjeu est de libérer les archéologues de la pression d’une organisation du travail en flux tendu en validant tout le travail non reconnu par les normes du marché de l’emploi et pourtant nécessaire au bon fonctionnement de notre métier, à l’entretien de notre passion et à l’équilibre de nos vies.

2. Pour cela, nous devons nous appuyer sur un fonds national et interprofessionnel destiné à l’archéologie et au patrimoine. Il prendrait la forme de caisses d’investissement et de salaires. Celles-ci seraient gérées par nos représentants (des archéologues, des conservateurs, etc.), en lien avec les aménageurs, sur le modèle de l’Unédic de 1946. Plusieurs options, possiblement complémentaires, pourraient permettre d’alimenter ces caisses : un taux de cotisation indexé sur les profits des grandes boîtes du BTP (dernier chiffre d’affaire de Vinci  : 43 milliards), une forme d’assurance pour les aménageurs ou un impôt, qui serait d’ailleurs justifié par la destruction systématique du paysage et du patrimoine. Ce système de « salaire continué » et d’investissement par « subvention » (et non pas par prêt bancaire), alimenté par la valeur socialisée dans les caisses patrimoniales, irait dans le sens d’une réelle libération du métier.

La dépendance à l’emploi offert par le privé, tout comme la tutelle d’un État pouvant geler, revoir à la baisse ou licencier en fonction des normes d’austérités (dette et déficit limités par les traités de libre-échange), seraient brisés. La discipline pourrait alors être capable, en toute indépendance scientifique, de développer un ancrage territorial plus serré (via les associations et les communes), de traiter les données dans le cadre de problématiques de recherche élaborées et de manière pérenne, d’édifier de nouveaux cadres et d’expérimenter de nouvelles méthodes. Tout ça sans subir l’arbitraire des fluctuations de l’aménagement.

3. Repenser le statut du « technicien » dont le terme doit être abandonné au profit d’archéologue. Cela passe par la redéfinition des fiches de poste pour chaque niveau d’étude, et que chacun soit pris en compte lors de l’embauche comme base du calcul des salaires.

  • 1 Ce sont 174 milliards de bénéfices pour le CAC 40 en 2021. Entre avril et juin, 544 milliards de dividendes ont été versés à l’échelle mondiale et 44 milliards en France. C’est une augmentation de 33 % au second trimestre pour notre pays. Un taux supérieur à la moyenne européenne. Les profiteurs de guerre sont quant à eux légions : profitant de la hausse des prix de l’énergie, Total a empoché 5,7 milliards de bénéfice au second trimestre, contre 2,2 milliards en 2021. Rappelons que le blocage temporaire des prix à la pompe consiste à réduire les taxes, pas à prendre sur les profits. Alors que l’on sait que l’augmentation de l’énergie (et des prix en général) est le fait de la spéculation (indexation des prix sur ceux du marché), ils continuent à socialiser les pertes quand ça va mal (l’État et les institutions du travail aident les entreprises sans contreparties) mais pas les profits quand tout va bien.
  • 2 Ce genre de traitement était historiquement réservé aux jeunes de banlieues ou aux citoyens mobilisés, notamment depuis la Loi Travail de 2016 qui s’est déroulée sous la loi martiale d’un État d’urgence ayant duré deux années (des attentats de 2015 à novembre 2017). Une étape a été franchie avec le mouvement des Gilets Jaunes dont on sait le niveau de répression subi. Il s’est, avec la pandémie, répandu à toute la société sous la forme de normes hygiénistes largement dictées par des choix politiques et économiques néolibéraux (coupes budgétaires, fermetures de lits, privatisation de la recherche posant un problème de contrôle et de redirection de la production en cas d’urgence, politique visant à favoriser les gros pôles hospitaliers au détriment de la médecine de prévention locale, etc.
  • 3 Souvenons-nous de la Loi Pluriannuelle de la Recherche revendiquée « élitiste et darwinienne » par le président du CNRS, renforçant l’emprise des logiques concurrentielles à l’Université. Malgré la forte opposition de l’hiver 2019-2020 dans le cadre d’un mouvement interprofessionnel contre l’assurance-chômage et la réforme des retraites sabré par le premier confinement, celle-ci fut actée le 24 décembre 2021. Cette période a été marquée par un confinement partiel (limitation des déplacements, des rassemblements, télétravail, couvre-feu, nouvelles fermetures des universités et des lieux culturels, etc.) qui empêchait évidemment toute mobilisation.
  • 4 Règles d’énoncé des hypothèses, d’élaborations et de traitement du corpus, de vérification des données, de rigueur du raisonnement, de confrontation des résultats, de mise en discussion au fur et à mesure de l’avancée ou de la prise en charge des critiques.
  • 5 Quelques mois après la coupe drastique du budget des fouilles-écoles dites programmées, les dérogations de la Loi de Protection du Pouvoir d’Achat (adoptée le 16 août 2022) concernant l’aménagement du territoire, remettaient directement en cause la viabilité de l’archéologie préventive. Ainsi, les « opérations d’archéologie préventive [ne devaient avoir] lieu que si les travaux d’aménagement [étaient] susceptibles d’avoir un impact notable et direct sur le patrimoine ». Ces opérations, si elles n’étaient pas « réalisées dans un délai compatible avec la date de mise en service fixée par le ministère de l’énergie », devaient être « réputées réalisées. ». Voir : https://www.cgt-culture.fr/projet-de-loi-pouvoir-dachat-le-parlement-va-t-il-accorder-un-permis-de-detruire-des-sites-archeologiques-aux-amenageurs-20181/?fbclid=IwAR1XF1Rwrddkb0p-bBRqI_8nHKbROh9HJrJZs9OXAbu6GeS0Fc77GwdpBUU
  • 6 Les scandales liés aux grands aménageurs comme Vinci sont légions. Par exemple, la filiale de Vinci, Arcos, rappelée à l’ordre pour au moins six entraves aux travaux archéologiques, a recouvert, dans une précipitation absolue, un projet de fouille sur le tracé du GCO début 2019, vers Vendenheim. Dans la foulée, la DRAC publie le 26 mars un arrêté annulant la mise en œuvre de la seconde tranche de fouille « considérant que la première tranche des fouilles a permis de récolter les renseignements nécessaires à la compréhension du site. ». Mesure diplomatique pour sauver les apparences, puisqu’il était de toute manière devenu impossible de fouiller en raison des volumes de terre déplacés sur la zone. Source : https://www.rue89strasbourg.com/gco-pres-de-vendenheim-arcos-a-enterre-un-projet-de-fouille-archeologique-juge-necessaire-151572
  • 7 Voir les travaux du réseau salariat et de Bernard Friot sur le salaire à vie et le système des caisses économiques. Puissances du salariat, 1998 (réed. 2021), Un désir de communisme, 2020, & En travail. Conversations sur le communisme, 2022.