L’art nous empêche de construire un monde meilleur

L’art nous empêche de construire un monde meilleur

Entre injustices sociales et désastres environnementaux, notre monde sombre lentement vers les profondeurs de l’anthropocène[1]. Depuis le premier rapport du club de Rome “les limites à la croissance” publié en 1972, scientifiques, économistes et activistes ne cessent d’avertir la population occidentale de l’imminence du danger. Mais malgré l’angoisse croissante générée par ces alertes[2], c’est le déni qui prédomine. Le paradoxe est criant entre d’une part la conscience de plus en plus aiguë que notre société n’est pas ce qu’elle devrait être, et d’autre part notre manque de volonté d’amorcer sa transformation.

L’art comme moteur de la transformation sociale

Selon un lieu commun, l’art serait moteur de changement. À travers films, images, histoires, musiques et autres artefacts culturels, l’art aurait le pouvoir de créer des récits qui transporteraient nos aspirations individuelles et collectives. Pourtant, en dépit d’une production foisonnante, en dépit de nombreuses propositions politiques et prétendument radicales, la paralysie de notre société persiste.

C’est que l’art, en réalité, n’est pas moteur de changement. C’est au contraire l’un des multiples ressorts de notre immobilité.

Lorsqu’il écrivait “le médium est le message”, le théoricien des médias Marshall McLuhan signifiait que le contexte qui produit un message pourrait être plus riche de sens que le message même. Dans le cas de l’art, le véritable message, celui qui a la plus profonde influence sur nos imaginaires, ça n’est pas les œuvres, c’est l’appareil de production lui-même. Ce sont les institutions, leurs prix et leurs compétitions, leur mode de financement et leurs discours. Ce sont les artistes et le concept même d’art, la mystique et le prestige qui les entourent. Ce sont les valeurs artistiques, qui s’articulent de la manière suivante[3] :

  • L’art serait l’une des expressions privilégiées du génie humain, et l’artiste un génie. Cela signifie d’une part que ce serait un être hors normes, doué d’un talent inné qui lui insufflerait sa vocation. D’autre part, et d’après le sens assigné au mot “génie” dans la mythologie antique, l’artiste serait un guide, “une divinité influant sur la destinée d’une collectivité”[4].
  • L’art serait un geste de création. Ce serait à la fois l’innovation pure et l’expression d’une subjectivité singulière. À travers son œuvre, passée à la postérité, l’artiste-auteur pourrait prétendre à une forme d’immortalité.
  • L’art serait subversif, se dressant contre le système et ses normes. Il échapperait à la logique bourgeoise et utilitariste du capitalisme. L’artiste serait un pionnier révolté par la société. Ce serait un fou, un anticonformiste, un révolutionnaire investissant les marges aux côtés de minorités et exclus en tout genre.
Une œuvre d’art contemporain

Ces mythes, hérités de l’époque romantique, constituent le regard dominant de la société contemporaine sur l’art et les artistes. Ils sont, aujourd’hui encore, ce qui motive de plus en plus d’étudiants à s’engager dans des carrières artistiques[5]. Artiste repenti moi-même, j’ai pu ressentir leur profonde influence et l’observer dans mon entourage professionnel. Mais en m’engageant dans le militantisme, il m’est peu à peu devenu impossible de ne pas ressentir aussi les profondes dissonances entre ce que la société professe du rôle de l’art et les résultantes de sa pratique.

Les mythes de l’art à l’épreuve de la réalité
En réalité, c’est d’abord la taille du réseau social d’un artiste et non son talent qui fait sa réputation.

Ce que beaucoup d’artistes savent de vécu personnel, à savoir que le talent n’est pas le déterminant principal du succès d’une carrière artistique, a été démontré par des recherches en sciences sociales. Il semblerait que ce soit le positionnement d’un artiste au sein d’un réseau social comprenant des personnes importantes qui déterminerait son succès à travers le favoritisme, le pistonnage et l’accès à plus d’information et d’opportunités[6].

En réalité, c’est la réputation de l’auteur et non la qualité d’une œuvre qui détermine sa valeur.

L’œuvre (objet ou performance) est la seule chose qu’une tierce personne puisse éprouver et devrait donc en toute logique être le seul étalon de sa propre valeur. Autrement dit, une œuvre devrait parler d’elle-même, et le cas échéant refléter le génie de la personne qui l’a produite.

Dans le monde de l’art, c’est l’inverse qui se produit. C’est le créateur, l’artiste, sa biographie, son identité et son prestige qui sont les déterminants principaux de la valeur d’une œuvre[7].

En 2011, il fut par exemple révélé que la galerie new-yorkaise Knoedler vendait des tableaux précieux attribués à des peintres célèbres (Rothko, Pollock…), alors que ceux-ci étaient en réalité des “faux”, peints par un immigrant chinois du nom de Pei-Shen Qian. Lors du procès qui s’ensuivit, ces peintures jusqu’alors gardées sous vitres blindées furent manipulées sans soin, comme de vulgaires pièces de carton[8]. Si la découverte de leur véritable auteur comme étant un anonyme n’avait en rien changé leur qualité, elle avait en revanche détruit toute valeur financière et symbolique que ces œuvres possédaient.

En réalité, le monde de la culture use et abuse de stratégies de marketing.

Le marché des arts visuels a été qualifié de marché le plus manipulé au monde[9]. Bien que soumis à la loi économique de l’offre et de la demande, la valeur des produits culturels est en grande partie arbitraire, et dépend directement de la réputation de leur auteur.

Des stratégies marketing sont donc déployées par les labels, galeries, ou même par les artistes eux-mêmes, afin de prendre soin de cette réputation. Un artiste, tout comme une marque, doit avoir un positionnement sur le marché : il doit se créer une identité, se construire une histoire, et revendiquer des thèmes de prédilection. Ces derniers peuvent d’ailleurs fluctuer de manière opportuniste en fonction d’évènements géopolitiques : crise des réfugiés syriens, guerre en Ukraine, etc.

En réalité, les billets d’entrée, livres, et autres objets que les artistes produisent en abondance peinent à se vendre.

Le marché des produits culturels est totalement saturé. Il y a par exemple aujourd’hui plus de 80 millions de morceaux sur Spotify[10], équivalent à plus de 450 années de contenu audio mis bout à bout. Chaque année, des millions de morceaux supplémentaires sont publiés sur la plateforme, qui est bien loin de proposer l’intégralité du contenu audio disponible dans le monde (il y a aussi Apple Music, Bandcamp, ou encore des disques et des cassettes, etc.).

Images de loutres générées par l’intelligence artificielle DALL·E 2 de OpenAI. (© OpenAI)

Produire de l’art n’est pas difficile et de plus en plus de gens le font. Pire encore, la production artistique subit un phénomène croissant, et en pleine accélération, d’automatisation grâce aux technologies du numérique. Ce phénomène peut être observé dans l’essor des logiciels d’assistance à la production artistique (par exemple les produits d’Adobe ou d’Ableton). De manière plus dramatique, il peut être observé dans l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle, qui permet de déléguer des choix créatifs à la machine, ou même de lui faire générer des œuvres entières à la chaîne sans aucune assistance humaine. Au cours de l’année 2022 on a par exemple vu se multiplier des images générées par diverses intelligences artificielles, Dall-E de l’entreprise OpenAI ou encore Imagen de Google. Certaines de ces images ont même gagné des prix d’art contre des artistes humains[11].

En réalité, les arts visuels sont un placement financier qui ne profite qu’aux ultra-riches.

Le montant total des ventes d’arts visuels pour la seule année 2021 est estimé à 65,1 milliards de dollars[12]. Une part importante de ces œuvres est achetée par de riches collectionneurs privés, dont on estime la totalité des actifs en “objets de collection” à 1448 milliards de dollars[13]. Les artistes contemporains qui vendent leurs œuvres sur le marché de l’art sont donc en réalité producteurs d’actifs financiers pour les ultra-riches qui cherchent à diversifier leurs portfolios d’investissement.

Beaucoup des œuvres vendues ne sont jamais montrées au public ni même à l’acheteur. Elles sont directement expédiées par les galeries vers des espaces de stockage hyper-sécurisés qu’on appelle “ports francs”, et qui garantissent à leurs clients une parfaite opacité vis-à-vis des pouvoirs publics, facilitant ainsi l’évasion fiscale. Un audit de l’État suisse en 2012 avait par exemple révélé que le port franc de Genève, à lui seul, renfermait 1,2 million d’œuvres d’art[14].

En réalité, le monde de la culture est soumis à l’économie capitaliste et à la marchandisation des produits culturels.

La vente d’œuvres ou de billets de spectacle est l’un des modèles économiques principaux des artistes aujourd’hui[15]. Sans parler des industries culturelles qui en profitent grassement, la subsistance des artistes est liée à l’existence du libre marché et de l’économie capitaliste. Lorsque ces intérêts économiques entrent en conflit avec le bien commun, c’est souvent ce dernier qui est mis en échec. 

Depuis l’arrivée du numérique par exemple, la commercialisation de vidéos, images et musiques présente un dilemme. Puisqu’en effet ces œuvres ne sont rien d’autre que de simples fichiers et peuvent être copiées indéfiniment et gratuitement, elles n’ont aucune valeur pécuniaire (pas plus que l’oxygène présent en abondance dans l’air). Le monde de l’art aurait pu applaudir la perspective révolutionnaire de voir des millions d’œuvres circuler librement et en dehors de toute relation marchande[16]. A minima, il aurait pu se battre pour réduire la portée des droits d’auteur, et permettre au public, par exemple, de profiter gratuitement des œuvres d’artistes décédés[17].

Au lieu de cela, l’industrie et les institutions, soutenues par de nombreux artistes, ont cherché à protéger leurs intérêts économiques en attaquant les libertés numériques. Cette mobilisation a donné des outils légaux comme Hadopi et des outils techniques comme les DRM qui permettent d’encrypter des fichiers multimédias tout en criminalisant leur décryptage par des tiers.

En réalité, le concept d’auteur est un mythe porté par les industries culturelles pour s’assurer le monopole sur la vente des œuvres.

Le droit d’auteur s’est développé aux 18è et 19è siècles, en plein essor du capitalisme dans les pays occidentaux. Il eut à l’origine la fonction de défendre non pas les auteurs, mais de riches éditeurs de livres contre l’impression de copies moins chères. La création du droit d’auteur fut alors justifiée idéologiquement par une autre notion qui apparaissait au même moment : celle de l’artiste comme créateur solitaire d’une œuvre originale et subjective[18]

Il est difficile de le concevoir aujourd’hui, mais à l’ère médiévale, avant l’essor du capitalisme et de la propriété privée, la plupart des récits circulaient de manière anonyme. Ils étaient copiés, modifiés et à nouveau remis en circulation. Leur transmission se faisait en grande partie à l’oral, et dans ce contexte les notions “d’auteur”, “d’originalité”, de “plagiat” ne faisaient pas sens[19].

La création artistique (comme toute activité créative humaine) est un travail combinatoire, bien plus qu’elle n’est un travail de création pure. Elle s’inspire des œuvres de ceux qui nous précèdent, et s’appuie sur un édifice culturel, des mots, des techniques, des formes d’expression que des millions de personnes ont participé à construire[20], des communs qui n’appartiennent à personne, et dont nous devrions refuser la privatisation.

En réalité, l’art c’est une idéologie.

On pourrait tempérer ces brèves sur la réalité du monde de l’art et de la culture par des exemples d’artistes qui tentent de faire les choses différemment. Cependant, la question n’est pas ici de considérer les pratiques artistiques dans leur diversité, mais au contraire de questionner ce qui, dans la pensée occidentale, les relie. Comment en sommes-nous, en effet, arrivés à ranger dans une même catégorie, à désigner par un même mot, des choses en apparence aussi différentes que : l’action de bouger son corps en rythme, l’action d’étaler des pigments sur une surface, l’action de souffler dans une flûte…?

Le Louvre et ses visiteurs

Un autre des mythes constitutifs de l’art est justement qu’il serait une composante universelle de l’humain, qui lierait toutes les pratiques créatives, de toutes les civilisations et de toutes les époques. L’art serait une pulsion commune, partagée aussi bien par les hommes des cavernes que par les avant-gardes du 20è siècle, poussant les uns à peindre sur les parois de grottes, les autres à exposer un urinoir dans un musée[21].

En réalité, nul besoin d’aller chercher très loin pour remettre en question la prétendue universalité de l’art. Par exemple, certaines pratiques créatives contemporaines comme la cuisine ne sont pas considérées comme de l’art. Pourquoi ? À l’inverse, certaines pratiques autochtones (danse, musique, création d’objets notamment) considérées par l’Occident comme de l’art ne le sont pas par les peuples qui les pratiquent, notamment lorsque ces derniers n’ont pas d’équivalent au concept d’art. Pourquoi alors utilisons-nous ce terme dans ce contexte si ces peuples ne le possèdent pas ? Serions-nous mieux à même qu’eux de définir ce qu’ils font lorsqu’ils dansent ou jouent de la musique ?

En réalité, Il faut bien dissocier le concept d’art d’un côté, de l’ensemble des pratiques sonores, textuelles, picturales ou corporelles de l’autre. Ces dernières sont effectivement un fait universel et sont exercées dans toutes les cultures. L’art en revanche est un fait exclusif de la société occidentale post-romantique. 

Ce qu’on nomme dans ce texte “art” ne désigne pas les pratiques elles-mêmes, mais bien le regard de notre société sur l’ensemble de ces pratiques et sur leurs praticiens. Le terme “art” désigne donc une manière d’interpréter le monde, qui est aux pratiques créatives ce que “libéralisme” ou “socialisme” sont à l’économie. Il désigne une idéologie qui pourrait être combattue par une autre idéologie post-art, plus apte à créer une société désirable[22].

L’art comme instrument de légitimation des classes sociales

Pour comprendre les fonctions de l’art comme idéologie, il est utile de re-contextualiser l’apparition aux XVIIIe et XIXe siècles des concepts d’art et d’artiste tels qu’on les connaît aujourd’hui.

Une vague de révolutions avait fini par instaurer le principe d’égalité comme l’un des fondements des sociétés européennes[23]. Ces révolutions avaient en revanche échoué à renverser l’ordre social, et les aristocrates demeuraient, aux côtés des bourgeois, en possession d’immenses privilèges : argent, prestige et pouvoir. Face à la contestation, il s’agissait donc pour cette classe dominante d’inventer des récits qui justifiaient le maintien de sa position de domination.

C’est ainsi que le mythe de l’art comme expression du génie est apparu. Il assène que la grâce ne discrimine pas, et que le don d’un talent artistique peut se manifester chez les pauvres comme chez les riches. Il assène ensuite que ce talent, lorsqu’il est présent chez une personne, justifie un plus grand prestige social. Voici donc un récit qui, à l’époque, était bien pratique car il résolvait la contradiction entre l’aspiration d’un monde post-révolutionnaire à plus d’égalité et les inégalités que ce monde vivait encore au quotidien. C’est l’essor d’une idée devenue centrale dans la société occidentale contemporaine, à savoir que nous vivons en méritocratie, soit dans un système où la position sociale d’un individu est la conséquence directe de son talent

Cette idée était particulièrement fallacieuse au XIXè siècle, dans un monde qui ignorait largement le concept d’égalité des chances à la naissance. Pourtant, elle se développa pour servir aux privilégiés d’explication a posteriori de leurs privilèges. La peinture, la sculpture et l’écriture, qui relevaient auparavant du domaine du savoir-faire technique, devinrent l’expression du génie et activités méritocratiques par excellence. Bien sûr les génies étaient ceux qui avaient le loisir de s’adonner à ces activités sans besoin d’y gagner leur vie, c’est-à-dire aristocrates et bourgeois[24].

Aujourd’hui encore, l’art a pour fonction principale la légitimation des classes et des inégalités sociales. Il agit comme un mécanisme de contrôle invisible car il hiérarchise les gens selon leurs goûts, leur capacité à apprécier telle ou telle œuvre, tout en affirmant que cette hiérarchie est fondée sur des différences de qualité objectives. Il permet ainsi de séparer les gens simples des élites, convainquant les uns et les autres que leur position est juste et méritée. Pourtant, il est évident que l’appréciation et la production d’art requièrent l’accumulation d’un grand nombre de connaissances et de codes qui relèvent de l’arbitraire. Il se trouve que ces codes sont disponibles en abondance dans les familles des classes supérieures et rares dans les familles des classes populaires. L’appréciation de l’art est donc en réalité presque exclusivement transmise par l’éducation, et l’art assure ainsi une forme d’étanchéité entre les classes sociales[25].

Tag photographié à Berlin

Cette fonction de l’art comme étanchéificateur est manifeste dans la manière dont les lieux de la haute culture sont conçus et dans la manière dont les produits artistiques y sont présentés. Le musée, l’opéra, l’auditorium,… sont tous pensés pour intimider les classes populaires. Tout d’abord par une architecture qui signifie au visiteur sa petitesse face à ces œuvres qui souvent le mystifient. Ensuite, par la distance qui est imposée avec les artefacts culturels ou performeurs. Ces derniers, objets de révérence, sont mis en scène, élevés, et le public n’a pas le droit de les approcher[26]. Puis par l’omniprésence de “dispositifs d’énigmatisation”[27], la réticence des artistes ou musées à être didactiques ou explicites. En empêchant ainsi les œuvres d’être claires ou de parler par elles-mêmes, on exclut celles et ceux qui n’ont pas les connaissances pour les déchiffrer. Enfin par la codification des interactions à l’intérieur du musée ou de la salle de concert, qui peuvent rendre malaisante une visite pour quiconque ignore à quel moment applaudir ou garder le silence, ce qu’on peut toucher et ce qu’on ne peut pas. Sans surprise, la fréquentation des musées ou des opéras est le fait quasiment exclusif des classes supérieures.

La production d’art est tout aussi exclusive que sa consommation. Le capital social est le facteur déterminant de la réussite d’une carrière artistique. Les classes aisées sont ainsi favorisées, car davantage connectées, et avec des personnes ayant des positions plus élevées dans la société. Ensuite, devenir artiste nécessite la capacité à différer l’obtention d’un salaire (parfois indéfiniment), ce qui implique d’avoir à sa disposition un capital financier personnel ou familial. Dans certains cas, les artistes paient même pour avoir le privilège d’exercer leur art, dans une curieuse inversion de la logique du travail : location de salles, auto-financement de résidences, achat de matériel pour la production… Sans surprise, la composition socio-économique des écoles d’art présente donc une forte sous-représentation des classes populaires qui ne possèdent ni le capital social, ni le capital financier nécessaires pour entreprendre cette profession[28].

L’artiste comme template  pour le travailleur néo-liberal

Les XIXe et XXe siècles ont été le terrain d’une grande bataille idéologique entre collectivisme et individualisme. La chute des régimes communistes, ainsi que la montée du néo-libéralisme partout dans le monde, ont acté la fin de cette bataille et placé l’individualisme en position d’hégémonie culturelle[29]. L’artiste, figure individualiste par excellence, dont la vie entière tend vers l’accomplissement de soi par la créativité, s’impose alors comme l’archétype du monde occidental victorieux.

Tel un mème Internet, les valeurs artistiques se répandent pour ré-émerger partout, dans la société du capitalisme tardif, sous des configurations nouvelles[30]. Elles apparaissent dans les mouvements de contre-culture (de mai 1968 jusqu’aux hipsters), sous la forme d’éloges de l’anticonformisme et de l’originalité. Elles sont glorifiées en permanence par une société de consommation qui célèbre la singularité et la différence. Elles sont exaltées par des médias de masse qui mettent en scène l’artiste-célébrité de manière obsessionnelle. Elles sont incarnées par les “créateurs” sur les plateformes du numériques telles YouTube, Instagram ou TikTok. On les retrouve enfin, à peine déguisées, dans une autre figure, celle de l’entrepreneur, un génie qui, tel un Steve Jobs ou un Elon Musk, subvertit (ou “disrupte” dans la parlance start-up) audacieusement l’ordre établi grâce à de nouvelles idées de business. En fait, et de manière assez paradoxale, l’art est devenu un nouveau régime de conformité ; singularité, expression de soi et rébellion une nouvelle norme[31].

Pour le néolibéralisme, et comme le disait caricaturalement Margaret Thatcher, “la société n’existe pas”[32]. Cette doctrine économique et politique, adoptée aujourd’hui par la plupart des gouvernements occidentaux, s’applique depuis les années 1970 à déconstruire méthodiquement l’héritage des grandes mobilisations collectives des deux siècles passés. Dans cette entreprise, l’idéologie de l’art est un allié particulièrement efficace. Elle reconfigure les aspirations de la population pour les orienter intégralement vers le soi, érodant ainsi la notion même de société. Elle est une arme politique, permettant d’insensibiliser (et même d’associer) le peuple à la destruction des systèmes d’aide sociale (santé, retraites, éducation…), à la privatisation de tous les services publics (transport, énergie…), et à la neutralisation des contre-pouvoirs collectifs (notamment les syndicats). Les citoyens, en effet, n’ont nul besoin d’être veillés par un “État nounou”, quand ce qu’ils désirent le plus est de vivre une vie singulière, désentravée des conventions.

L’alliance entre l’idéologie de l’art et le néolibéralisme est particulièrement visible et efficace dans le champ de la politique du travail, fief traditionnel des luttes socialistes. Dans l’imaginaire populaire, travail n’est pas couramment associé avec plaisir. On travaille parce qu’on y est forcé, pour subvenir à ses besoins essentiels, mettre un toit au-dessus de sa tête ou nourrir sa famille. L’artiste, au contraire, travaille par vocation : parce que génie il a reçu un don et a été “appelé” à faire ce qu’il fait. La motivation de l’artiste lui vient de son moi, elle est une forme d’amour et non une contrainte. Le tour de force du néolibéralisme a été de généraliser cette idée et qu’au lieu d’être stable, bien rémunéré ou de donner sécurité et temps libre, un bon travail doit naître d’une vocation[33].

Quelqu’un en manque d’attention sur SoundCloud

Cette relation “artistique” au travail est considérée par les gouvernements des pays occidentaux comme le futur de l’emploi. Ces derniers légifèrent depuis des décennies pour tendre vers un marché du travail où chaque travailleur est sa propre entreprise, et s’associe avec d’autres le temps d’un projet avant de repartir vers de nouveaux horizons. Mû par l’amour, le travailleur néolibéral s’exploite tout seul. Il est freelancer ou stagiaire en série, ne compte pas ses heures, ne fait la distinction ni entre week-end et semaine, ni entre bureau et maison. En plus du cœur de son activité, il doit en permanence travailler à travailler en étendant son réseau social et en se cultivant une réputation et “sa marque” (son “self-branding”), pour se différencier de ses concurrents[34].

Les classes populaires, n’ayant rien de suffisamment “cool” à inscrire sur leurs profils LinkedIn ou leurs biographies Twitter, sont en revanche entièrement exclues de ces nouvelles modalités. La dérégulation du travail est la cause au contraire de l’essor de ce qu’on a nommé la “gig economy” ou encore “ubérisation” de l’économie, et de l’explosion du travail précaire.

La souffrance sociale causée par cette nouvelle politique du travail touche aussi les classes supérieures. Pour les nouvelles générations, l’injonction à trouver sa vocation est si forte que de nombreuses personnes se sentent coupables et souffrent de dépression lorsqu’elles n’y arrivent pas. De plus, le travail “flexible” (même lorsque cette flexibilité est choisie) est source d’anxiété, d’insécurité et d’isolement. Au lieu de tisser des solidarités avec ses pairs, le travailleur flexible est encouragé à les considérer tous comme de potentiels compétiteurs.

Alors intervient la promesse néolibérale d’expression de soi, à travers l’auto-détermination par chacun de sa carrière, l’auto-définition de son identité, le sentiment d’être unique et singulier. Cette promesse rend toutes ces souffrances tolérables. L’art est ainsi un outil de pacification de la population[35] (et en particulier des classes moyennes et supérieures). C’est un outil redoutablement efficace car il est invisible, oeuvrant au plus profond de chacun de nous, en déterminant nos aspirations les plus intimes, et ainsi tout ce qui nous met en mouvement ; un mouvement entièrement orienté vers le soi et absolument en phase avec les forces économiques néolibérales qui contrôlent nos sociétés et détruisent notre environnement.

Faire notre deuil, puis reconstruire

L’art n’est pas moteur de changement, il est au contraire l’un des ressorts de notre immobilité. Si nous voulons dépasser les crises dans lesquelles nous sommes embourbés, pour un monde plus solidaire, plus juste et respectueux du vivant, il nous faut de nouveaux récits. Et pour créer de nouveaux récits, il nous faut tout d’abord remplacer la principale matrice idéologique de ces récits, c’est-à-dire l’art.

Musiciens, peintres, écrivains, … nous devons déserter l’art et inventer des manières d’inscrire nos pratiques créatives dans un cadre post-artistique. Nous devons nous rallier autour de nouvelles valeurs : le collectif, le soin, la protection du bien commun. Nous devons “bifurquer”, comme le font progressivement les travailleurs d’autres professions[36]. Il n’est pas question de ne plus produire de sons, d’images, de performances… Il est question en revanche de changer radicalement la manière dont la société (nous compris) considère ces activités de production ainsi que celles et ceux qui les entreprennent.

Ce travail ne peut être une quête unilatérale des artistes, mais doit aussi être engagé par les institutions du monde de la culture. Ces dernières doivent réfléchir à comment accompagner une transition, comment créer de nouveaux modèles économiques qui permettraient de sortir du régime de visibilité, de compétition, d’hyper-personnalisation qui est imposé aux artistes aujourd’hui. Nous pouvons nous inspirer des expériences radicales de créativité passées, comme le Proletkult (projet révolutionnaire soviétique), le mouvement du logiciel libre, ou encore la créativité collective des mouvements décentralisés comme Extinction Rebellion ou Occupy.

San Francisco, après les incendies de Californie en 2020. (@ Photo de Patrick Perkins sur Unsplash)

Mais pour nous, artistes, c’est tout d’abord le deuil de nos privilèges qu’il nous faut engager :  

Faire le deuil du génie. Nous devons accepter d’être de simples membres de la communauté et non d’illustres guides ; combattre activement les privilèges et le prestige social attribués aux artistes ; déconstruire la révérence mystique et religieuse pour les œuvres d’art.

Faire le deuil de l’auteur. Nous devons aller bien plus loin que la simple création de collectifs artistiques ; trouver les moyens de travailler et d’exister sans nous approprier des pans entiers de la culture humaine ; repenser notre relation au temps et à l’espace, accepter d’être de simples acteurs locaux et éphémères, d’être des anonymes.

Faire le deuil des prétentions de l’art à la subversivité. Nous devons accepter que nous ne sommes pas de grands révolutionnaires, et accueillir les questions légitimes sur notre utilité dans la société, ainsi que la possibilité que nous soyons en réalité parfaitement inutiles.

Passé ce deuil, viendra alors le moment grisant de la reconstruction, où nous pourrons mettre nos énergies au service de la réinvention de nos pratiques, et ces pratiques, enfin, au service du bien commun.

Sébastien Piquemal (https://blogs.mediapart.fr/sebastien-piquemal)

Références complémentaires :

  • Arvidsson, Adam, Giannino Malossi, and Serpica Naro. « Passionate work? Labour conditions in the Milan fashion industry. » Journal for cultural research 14.3 (2010): 295-309.
  • Barthes, Roland. « The death of the author. » Contributions in Philosophy 83 (2001): 3-8.
  • Bourdieu, Pierre, Alain Darbel, and Dominique Schnapper. L’amour de l’art: les musées d’art européens et leur public. Paris: Les editions de minuit, 1969.
  • Bowley, Graham, and Doreen Carvajal. « One of the world’s greatest art collections hides behind this fence. » The New York Times 28 (2016).
  • Colbert, François. « Beyond branding: Contemporary marketing challenges for arts organizations. » International Journal of Arts Management (2009): 14-20.
  • Cour des comptes, « L’enseignement supérieur en arts plastiques », Communication à la commission des finances du Sénat, Dec. 2020, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-01/20210120-58-2-enseignement-superieur-arts-plastiques.pdf
  • Curtis, Adam. « Adam Curtis on the Dangers of Self-Expression. » Interview by Vancey Strickler. The Creative Independent, March 14 (2017).
  • Daniel, Ryan, and Robert Johnstone. « Becoming an artist: exploring the motivations of undergraduate students at a regional Australian University. » Studies in Higher Education 42.6 (2017): 1015-1032.
  • Dee, Liam. Against Art and Culture. Palgrave Macmillan, 2018.
  • Des agros qui bifurquent. « A call out to branch off, 2022 AgroParisTech Graduation ceremony« , Youtube, 10 May 2022, https://www.youtube.com/watch?v=SUOVOC2Kd50
  • Ede, Lisa. « The Concept of Authorship: An Historical Perspective. » (1985).
  • Florida, Richard. The rise of the creative class–revisited: Revised and expanded. Basic Books (AZ), 2014.
  • Foucault, Michel. « Qu’est-ce qu’un auteur?. » Société Française de Philosophie, Bulletin 63.3 (1969).
  • Gault, Matthew. “An Ai-Generated Artwork Won First Place at a State Fair Fine Arts Competition, and Artists Are Pissed.” VICE, 31 Aug. 2022, https://www.vice.com/en/article/bvmvqm/an-ai-generated-artwork-won-first-place-at-a-state-fair-fine-arts-competition-and-artists-are-pissed.
  • Gill, Rosalind, and Andy Pratt. « In the social factory? Immaterial labour, precariousness and cultural work. » Theory, culture & society 25.7-8 (2008): 1-30.
  • Graeber, David, and Nika Dubrovsky. « Another Art World » part 1, 2 & 3, e-flux journal, 2019, https://www.e-flux.com/journal/102/284624/another-art-world-part-1-art-communism-and-artificial-scarcity/.
  • Hardt, Michael, and Antonio Negri. « Empire. » Empire. Harvard University Press, 2001.
  • Hearn, Alison. « Meat, Mask, Burden: Probing the contours of the brandedself. » Journal of consumer culture 8.2 (2008): 197-217.
  • Heinich, Nathalie. L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique. Éditions Gallimard, 2018.
  • Home, Stewart. « The Assault on Culture: Utopian Currents From Lettrisme to Class. » (1988).
  • De Lagasnerie, Geoffroy. L’art impossible. Presses Universitaires de France, 2020.
  • Lefevre, Mathieu, and Anaïz Parfait. « Réconcilier les Français grâce à l’environnement. » (2020).
  • Légifrance, « Code de la propriété intellectuelle – Chapitre III : Durée de la protection (Articles L123-1 à L123-12)« , Accessed 3 Oct. 2022, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006069414/LEGISCTA000006161638/#LEGISCTA000006161638.
  • Macel, Christine. « Venice Biennale Arte 2017 | Introduction by Christine Macel« , 2017, https://www.labiennale.org/en/art/2017/introduction-christine-macel.
  • Mayyasi, Alex. « Why is art expensive? » priceonomics, 2015, https://priceonomics.com/why-is-art-expensive/.
  • McAndrew, Clare, « A Survey of Global Collecting in 2022 » The Art Basel and UBS Global Art Market Report, Accessed 10 Aug. 2022, https://www.artbasel.com/about/initiatives/the-art-market
  • McRobbie, Angela. Be creative: Making a living in the new culture industries. John Wiley & Sons, 2018.
  • Miller, M. H. « The big fake: behind the scenes of Knoedler Gallery’s downfall. » Artnews 25 (2016): 2016.
  • Ministère de la culture, « Financement de la culture« , Accessed 10 Sept. 2022, https://www.culture.gouv.fr/themes/Financement-de-la-culture.
  • Mitali, Banerjee, and Paul L. Ingram. « Fame as an illusion of creativity: Evidence from the pioneers of abstract art. » HEC Paris Research Paper No. SPE-2018-1305, Columbia Business School Research Paper 18-74 (2018).
  • Nead, Lynda. « Seductive canvases: Visual mythologies of the artist and artistic creativity. » Oxford Art Journal 18.2 (1995): 59-69.
  • Oakley, Kate. « From Bohemia to Britart–art students over 50 years. » Cultural Trends 18.4 (2009): 281-294.
  • Petterson, Anders, « Deloitte & ArtTactic | Art & Finance Report 2021 » ArtTactic, Accessed 10 Aug. 2022, https://arttactic.com/product/deloitte-arttactic-art-finance-report-2021/
  • Rose, Mark. « The author as proprietor: Donaldson v. Becket and the genealogy of modern authorship. » Representations 23 (1988): 51-85.
  • Røyseng, Sigrid, Per Mangset, and Jorunn Spord Borgen. « Young artists and the charismatic myth. » International journal of cultural policy 13.1 (2007): 1-16.
  • Schrager, Allison. « High-end art is one of the most manipulated markets in the world. » Quartz (2013).
  • Shapiro, Roberta, and Nathalie Heinich. « When is artification?. » Contemporary Aesthetics (Journal Archive) 4 (2012): 9.
  • Shiner, Larry. The invention of art: A cultural history. University of Chicago press, 2003.
  • Steffen, Will, et al. « Trajectories of the Earth System in the Anthropocene. » Proceedings of the National Academy of Sciences 115.33 (2018): 8252-8259.
  • Taylor, Roger. « Art, an Enemy of the People. » (1978).
  • Tokumitsu, Miya. Do what you love: And other lies about success & happiness. Simon and Schuster, 2015.
  • UCLA, DataRes at. “Spotify Trends Analysis.”, Medium, 22 Dec. 2020, https://ucladatares.medium.com/spotify-trends-analysis-129c8a31cf04.
  • Waldron, Jeremy. « From authors to copiers: individual rights and social values in intellectual property. » Chi.-Kent L. Rev. 68 (1992): 841.
  • Wesner, Simone. « The Artist and the Artistic Myth. » Artists’ Voices in Cultural Policy. Palgrave Macmillan, Cham, 2018. 17-40.

Notes :

  • [1] Voir l’article Trajectories of the Earth System in the Anthropocene publié dans PNAS en 2018. 
  • [2] Voir le rapport Réconcilier les Français grâce à l’environnement de l’organisation Destin Commun.
  • [3] Pour une étude plus poussée de ces mythes, voir les livres L’Élite artiste de Nathalie Heinich et L’art impossible de Geoffroy de Lagasnerie, ou encore l’article Seductive canvases: Visual mythologies of the artist and artistic creativity de Lynda Nead. On pourra lire aussi l’introduction à la biennale de Venise 2017 de la curatrice Christine Macel pour une parfaite synthèse exaltée de ces valeurs.
  • [4] Définition de « génie », CNRTL, https://www.cnrtl.fr/definition/génie. Accédé le 05 December 2022.
  • [5] Sur le sujet des motivations des artistes (et étudiants en art), voir les articles listés dans les références : From Bohemia to Britart–art students over 50 years Becoming an artist: exploring the motivations of undergraduate students at a regional Australian University ; The Artist and the Artistic Myth ; Young artists and the charismatic myth.
  • [6] Voir l’article Fame as an illusion of creativity de Banerjee Mitali et Paul L. Ingram.
  • [7] Voir le livre L’Élite artiste de Nathalie Heinich.
  • [8] Voir l’article The big fake paru dans la revue artnews.
  • [9] Voir l’article High-end art is one of the most manipulated markets in the world paru dans Quartz.
  • [10] Voir le post de blog Spotify Trends Analysis pour retrouver ces chiffres.
  • [11] Voir l’article An Ai-Generated Artwork Won First Place at a State Fair Fine Arts Competition, and Artists Are Pissed paru dans VICE.
  • [12] Pour retrouver ces chiffres, voir le rapport A Survey of Global Collecting in 2022 publié par Art Basel.
  • [13] Ces chiffres sont tirés du rapport Art & Finance Report 2021 publié par Deloitte & ArtTactic. Seules les personnes possédant 30 millions de dollars ou plus sont comptées. « objets de collection » contient d’autres objets que de l’art: pierres précieuses, voitures de collection, alcools, etc …
  • [14] Voir l’article One of the world’s greatest art collections hides behind this fence paru dans The New York Times.
  • [15] Voir la page Financement de la culture sur le site du ministère de la culture. Un autre modèle économique repose sur le financement public : 17 milliards de financements publics pour 49,2 milliards de chiffre d’affaires.
  • [16] De nombreux artistes ont d’ailleurs fait des expériences dans ce sens. On pourrait notamment citer l’album In Rainbows de Radiohead publié en 2007 en téléchargement libre (et à prix libre) sur leur site web.
  • [17] L’argument du droit d’auteur comme un moyen d’apporter un revenu aux artistes a souvent été mis en avant dans la “lutte contre le piratage des œuvres”. Mais aujourd’hui, les droits sur les œuvres d’un auteur durent 70 ans après sa mort (voir Code de la propriété intellectuelle disponible dans les références), ce qui ne profite évidemment pas aux artistes, mais à leurs descendants et aux industries culturelles.
  • [18] Voir les articles The author as proprietor de Mark Rose et From authors to copiers de Jeremy Waldron.
  • [19] “Authorship”, un mot anglais courant qui n’a pas de traduction exacte en français, mais signifie “paternité” d’une œuvre, est apparu pour la première fois en 1710 dans l’Oxford English Dictionary, illustrant que ce concept est très récent. Voir l’article The Concept of Authorship de Lisa Ede.
  • [20] Pour deux critiques du concept d’auteur lire la conférence Qu’est-ce qu’un auteur? de Michel Foucault et l’article The death of the author de Roland Barthes.
  • [21] Voir les livres The invention of art de Larry Shiner et Against Art and Culture de Liam Dee.
  • [22] C’est ce qu’avaient notamment tenté les révolutionnaires Russes au début du 20è siècle à travers la création du Proletkult.
  • [23] Les femmes, bien sûr, devraient encore attendre.
  • [24] Voir L’Élite artiste de Nathalie Heinich.
  • [25] Voir le livre L’amour de l’art. de Pierre Bourdieu, Alain Darbel, et Dominique Schnapper.
  • [26] Depuis les années 60, avec notamment l’influence du mouvement Fluxus, il existe de nombreuses œuvres d’art “participatives” qui tentent justement de réduire cette distance avec le public. Premièrement, on pourrait souligner le fait que si ces œuvres incluent les spectateurs c’est souvent sous une forme autoritaire, dans le cadre d’interactions rigides régies par l’artiste. Deuxièmement, la mise à distance entre les œuvres et le public reste aujourd’hui la norme.
  • [27] Voir L’art impossible de Geoffroy de Lagasnerie.
  • [28] Dans un rapport titré L’enseignement supérieur en arts plastiques (lien dans les références), la cour des comptes épingle le manque de diversité sociale des écoles d’art françaises.
  • [29] Le livre Empire Michael Hardt and Antonio Negri fournit une analyse de la montée en puissance de l’idéologie individualiste caractéristique du régime post-fordiste de la deuxième moitié du 20e siècle.
  • [30] Voir The rise of the creative class de Richard Florida pour une analyse (non-critique) de l’économie créative et de son influence sur la législation du travail et la politique des villes.
  • [31] Voir Adam Curtis on the Dangers of Self-Expression, une interview du réalisateur Adam Curtis dans the Creative Independent, dans laquelle il déclare provocativement que le monde de l’art est responsable de l’élection de Donald Trump en 2016.
  • [32] “There’s no such thing as society”, citation célèbre de Margaret Thatcher, dans une interview donnée en 1987.
  • [33] Voir les livres Do what you love de Miya Tokumitsu ou Be creative: Making a living in the new culture industries de Angela McRobbie.
  • [34] Voir les articles Meat, Mask, Burden: Probing the contours of the brandedself de Alison Hearn ; Passionate work? Labour conditions in the Milan fashion industry de Adam Arvidsson ou In the social factory? de Rosalind Gill et Andy Pratt.
  • [35] Un outil parmi d’autres, et on pourrait notamment citer le rôle similaire de la psychologie occidentale dans l’individuation des maux sociaux.
  • [36] Entre autres vidéos et discours on peut notamment citer celui des étudiants d’AgroParisTech, des étudiants de Centrale ou encore de HEC.

Retraites et chômage : sous les canons du marché

Retraites et chômage : sous les canons du marché

Comment les monopoles resserrent leur emprise grâce à Macron

Les annonces s’enchaînent et s’entremêlent : la réforme de l’assurance-chômage, nouvelle mouture, a été adoptée le 25 octobre à l’Assemblée et le 17 novembre au sénat dans l’indifférence la plus totale, pour une entrée en vigueur le 1er février, tandis que le paquet austéritaire synthétisé par le projet de loi de finance 2023 (le PLF) a été validée en plusieurs 49-3 (le 18 octobre pour le premier volet, le 15 décembre pour le deuxième), de même que la troisième partie du budget de la Sécurité sociale (le 20 octobre en 49-3), relevant de la même logique. Enfin, le projet de recul de l’âge de départ à la retraite, que le gouvernement voulait faire passer l’air de rien dans le vote du budget 2023 sous la forme d’un simple amendement, a été dégoupillé.

Devant être à l’origine présenté à la mi-décembre, il le sera le 10 janvier, de crainte de provoquer un mouvement durant les fêtes, notamment parce que de nombreux secteurs menacent de faire grève ou sont en grève (comme les cheminots). C’est aussi le moyen qu’ils ont trouvé pour réduire le temps des débats à une dizaine de jours au bas mot ; de saper le travail des parlementaires donc, mais surtout l’effort d’organisation nécessaire à la mobilisation populaire et qui s’inscrit dans la durée. Eventuellement en lâchant quelques « contreparties sociales » (les miettes dispensables) aux directions syndicales, avec l’espoir d’entamer le front commun et d’amoindrir la détermination de leurs bases. L’objectif reste l’adoption à la mi-mars et, selon les vœux du gouvernement, l’application des mesures dès cet été.

Complétant ce tapis de bombes, les ministres Gérald Darmanin (Intérieur) et Olivier Dussopt (Travail, Plein emploi et Insertion) ont annoncé le 2 novembre la mesure des « titres de séjour sur les métiers en tension » incluse dans le projet loi « immigration »1. Un racisme utilitariste qui surpasse tous les discours stigmatisants de la bourgeoisie la plus réactionnaire, puisqu’il institue de fait une tendance inhérente au capitalisme : mettre à profit la main d’œuvre corvéable qu’offrent les pays sous domination impérialiste. Si beaucoup refusent aujourd’hui de travailler dans des secteurs mal payés (transports, soin, éducation, etc.), cette nouvelle masse de travailleurs acceptera tout sans sourciller. Dans une période où le modèle des protections sociales est mis à mal, l’effet de cet accroissement de la concurrence s’annonce fatal pour les travailleurs et leurs salaires, que les employeurs auront moins peur de faire stagner malgré l’inflation, certains de trouver qui embaucher. Du grain à moudre pour l’extrême droite – bien utile au maintien du bloc bourgeois – qui en profitera évidemment pour dénoncer les hordes migratoires à la place des organisateurs de ce chantier ; l’effet plutôt que la cause. La boucle est bouclée. Destruction des conquêtes sociales et institutionnalisation de la concurrence internationale sur le territoire national perpétueront le rêve de maximisation des profits, alors que le déclin démographique de l’Europe est une réalité.

Aucune place au débat, aucune place à l’opposition, même à la plus modérée. « La Stratégie du Choc » (Cf. Naomi Klein), toujours la même, est reconduite pour sidérer l’opinion et noyer l’enjeu démocratique sous une chape de langage technocratique. Avec ça, une tension permanente est maintenue pour discréditer les grévistes séditieux, tantôt djihadistes preneurs d’otages, tantôt fainéants irresponsables, mais luttant pour l’augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail.

Nous proposons ici le panorama synthétique du champ de ruine que nous prépare un capitalisme en crise, et pour qui l’identité, la couleur de peau, l’âge ou le sexe n’ont d’importance que secondaire2. Ce qu’il souhaite par-dessus tout c’est pallier le manque de bras ; ce qu’il souhaite c’est le travail à la tâche des individus interchangeables du marché de la « flexibilité » pour alimenter le haut-fourneau de la plus-value. Cet article est conçu comme un argumentaire combinant les modalités des nouvelles réformes (aspects techniques – (T) -) et les logiques de fond les motivant (aspects politique et idéologique – (PI) -).

Des retraites au chômage, une dégradation pour la concurrence (PI)

Mettons d’abord les choses au clair dans le sillage de l’article Les allocs c’est du travail ! qui revenait sur la visée émancipatrice du Régime Général de la sécurité sociale de 1946.

Dans un contrat privé instituant la qualification au poste, l’individu est interchangeable : puisque c’est au poste qu’est attaché un niveau de qualification, on peut licencier l’employé et en embaucher un autre pour la même tâche. Il est condamné à respecter la production de valeur pour la production de valeur, au risque de se retrouver sans ressources. Les travailleurs, dans cette configuration, n’ont pas la moindre maîtrise du poste de travail. Mais avec la qualification à la personne, le salaire devient un droit politique attaché à l’individu, quel que soit l’état du « marché de l’emploi » (entendre les besoins de profitabilité des représentants du capital). Reposant sur la valeur socialisée (mise en commun à la base du processus productif), ce salaire responsabilise le producteur (il est reconnu), à l’inverse de la logique du « tu n’existes pas en dehors de la force que tu apportes au capital », des « aides sous condition d’être pauvre » ou encore du « droit par le mérite des pensions et allocations considérées comme contrepartie de cotisations accumulées » (primes et RSA en sont des déclinaisons). Le rôle de la qualification à la personne est de libérer le travail du marché de l’emploi.

Sa logique est en fait celle du salaire du fonctionnaire, qui détache le salaire de l’emploi. Le travailleur est validé en tant que producteur de valeur en même temps qu’il n’a plus à valoriser le capital appartenant à un rentier. En d’autres termes, pour que l’individu puisse être protégé de la logique prédatrice du capitalisme mettant en concurrence les travailleurs sur un « marché » – « les titres de séjours sur les métiers en tension » en sont un exemple éclatant – il fallait construire des statuts de travailleurs attachés à la personne. Rappelons que le monopole de la bourgeoisie sur la production passe aussi par le contrôle des liens qui unissent les salariés, à savoir ce fameux « marché ». Cette mainmise sur ce qui est en fait un réseau d’individus dépendants et interchangeables, lui permet d’imposer la valorisation du capital (utile à l’augmentation de ses profits) au détriment de la valeur d’usage (biens utiles aux besoins de la société). Ce lien de dépendance de la production à des intérêts extérieurs aux besoins de la société, consacre la perte d’autonomie individuelle du producteur quant aux moyens de sa survie matérielle. Pourtant, bien que nous soyons isolés sur un « marché du travail » hostile, ce développement des liens entre travailleurs est paradoxalement la condition de possibilité d’un dépassement de la concurrence en solidarité de classe : contraint dans ses choix de consommation individuels, le travailleur n’en est pas moins autonome à l’échelle de classe car sa classe produit ce qu’il consomme3.

Dali, Cygnes se reflétant en éléphants, 1937

Cela dit, venons-en aux retraites qui est en principe le passage à la qualification personnelle garantissant la continuité du salaire sans être au travail (tout comme l’assurance-chômage, bien que sur un temps plus limité). Pour le calcul de la pension de retraite, les dix meilleures années travaillées comptaient et peu importaient les cotisations générées. L’idée était de prolonger le mouvement pour descendre de plus en plus bas : les sept meilleures, les cinq meilleures, jusqu’à l’inconditionnalité effective. Soit le seuil zéro, sans préalable d’heures pour le chômage et d’années pour la retraite. Les vingt-cinq années actuellement utilisées comme référence, ainsi que le « j’ai cotisé, j’ai droit », sorte de répartition au mérite présent en contre-modèle dès le départ (et prolongé en 1961, 1984, etc.), sont en fait le fruit de la logique patronale aujourd’hui à l’initiative. À l’initiative seulement car sur les 340 milliards de pensions, 250 milliards relèvent encore du droit au salaire comme continuation du salaire du dernier et meilleur traitement. Droit porté par les régimes spéciaux que le gouvernement veut justement détruire. En résumé, ce salaire vient à l’origine valider le statut de producteur des aînés (après une vie d’exploitation) comme des chômeurs (les privés d’emplois)4.

C’est donc de la réaction au conquis de 1946 qu’il faut partir pour comprendre l’enjeu de l’actuelle réforme des retraites. La logique inverse, méritocratique, se manifeste en effet dès 1947 par la mise en place de régimes complémentaires destinés à la retraite des cadres : l’Agirc. Puis en 1961 l’Arrco (Association des Régimes de Retraite Complémentaire, NdlR), offrant la même possibilité aux employés. Il s’agit de « comptes complémentaires d’activité » de plus en plus contrôlés par un État outil des monopoles et sur lesquels il est possible de « placer » ses cotisations. Plus on travaille, plus on accumule. Le producteur adhère sans le savoir à la vision du rentier capitaliste. De la poursuite du meilleur salaire, la retraite devient la contrepartie des cotisations accumulées, tandis que l’on assiste à l’avènement des « comptes rechargeables » du chômeurs cumulant les bons points personnels (P. Séguin fin 1980 / M. Rocard début 1990). Séguin, en 1986, enfonce d’ailleurs le clou en indexant les pensions sur les prix et non plus sur les salaires. Le diable se niche bien dans les détails : on passe d’une continuité de son activité à une pension fluctuant en fonction des prix. Le retraité et le chômeur ne sont dès lors plus considérés comme des travailleurs titulaires d’un salaire et libérés de la contrainte d’aller sur le « marché de l’emploi » pour toucher un salaire, mais comme des « ayants droits au différé de leurs cotisations ». Ayant versé au pot commun d’une abstraite solidarité intergénérationnelle ou ayant habilement thésaurisé, ils ont le droit de récupérer leurs billes. En somme, l’objectif est d’abolir le droit au salaire des retraités pour le remplacer par une pseudo épargne où l’on accumule des points sur un compte individuel, et où la retraite devient la contrepartie de nos cotisations. Et ce contre la retraite comme continuation du meilleur salaire que l’on connaît encore majoritairement.

L’objectif est d’abolir le droit au salaire des retraités pour le remplacer par une pseudo épargne où l’on accumule des points sur un compte individuel, et où la retraite devient la contrepartie de nos cotisations

La nouvelle réforme de l’assurance chômage reprend d’ailleurs cette méthode de fluctuation du montant selon les indicateurs « au mérite ». Il y aura modulation des allocations en fonction de l’état de l’emploi en général : s’il est déclaré que tout va bien, les prestations baisseront. Charge aux comités d’experts ou aux statisticiens du « bon nombre de trimestres consécutifs pour l’emploi » de donner les critères de la « bonne santé économique du pays ». Nous y reviendrons. Ce qu’il faut retenir c’est que l’enjeu des réformes Macron n’est pas de baisser le pouvoir d’achat mais d’en finir avec le droit au salaire des retraités et des privés d’emploi. Un droit qui se fonde sur l’exemple de la fonction publique. Le but est de remettre le salaire sous le joug de l’emploi et donc de reverser les retraités et les chômeurs dans l’arène du « marché de l’emploi ».

Dans le prolongement de ces transformations, Michel Rocard, socialiste patenté, crée en 1991 la CSG (Contribution Sociale Généralisée). Cet impôt « solidaire » reconfigure le sens des allocations familiales puisque, là où en 1946 cette allocation versée aux parents élevant deux enfants était un véritable salaire calculé sur la rémunération d’un ouvrier de la métallurgie, elle devient une simple allocation de couverture des « coûts sociaux supplémentaires » : le coût de l’enfant. En 2018, cet impôt est venu remplacer la cotisation chômage des salariés. Une façon pour l’État de reprendre entièrement la main sur une institution gérée jusque-là par les syndicats, conjointement avec le patronat. Cet impôt déployé sur le contribuable en général, et justifié par une solidarité face à la crise, détruit de fait le principe du travailleur libéré du marché des biens et services ; c’est-à-dire reconnu comme producteur de valeur, dont le salaire est déconnecté de l’activité et qui est en capacité d’être responsable de la production.

La réforme des retraites contre la cotisation (T)

En bref : les sénateurs ont voté le 12 novembre un amendement sur les retraites dans le cadre du projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale. La version du texte étant revenue vers les députés comportait cette modification. Toutefois, Elisabeth Borne a communiqué la position du gouvernement : qu’ils ne peuvent prendre le risque politique de sabrer un semblant de débat devant débuter en janvier… et qui se finira de toute évidence en un énième 49-3. Ce n’est qu’en dernier recours que le gouvernement prévoit de passer par la case amendement, à travers un projet de loi rectificatif du budget de la Sécurité sociale qui permet d’ajuster après coup certaines dispositions comptables5.

Sur le papier, c’est simple : dès l’été 2023, c’est le recul progressif de l’âge de départ de 62 ans à 65 ans (ou 64 ans en augmentant le nombre de semestres travaillés), en commençant par la génération de 1961. Le projet contient en outre la garantie minimum d’une pension à 85% du Smic brut pour les carrières pleines, soit à peine 32% des petites retraites puisque tout est fait pour que de moins en moins de français accèdent à une pension à taux plein. Encore et toujours, ils usent de mesures sous condition dont l’effet recherché est de diviser les travailleurs, pour diminuer les risques d’un mouvement porté par un « tous ensemble » généralisé. C’est aussi la fin des régimes spéciaux pour les nouveaux recrutés (RATP, SNCF, salariés de l’énergie). La motivation annoncée est celle de « faire 15 milliards d’économies pour combler le déficit et sauver notre système par répartition » (E. Born). Mais comme tout élément de langage, nous sommes face à un voile recouvrant le réel. En réalité, nous comprenons qu’il s’agit d’un projet politique mené par la classe possédante. Il prend sens dans le cadre d’une lutte de classe acharnée pour le contrôle de la production et l’augmentation du taux de profit.

Dali, Le visage de la guerre, 1940

a) Déployons un argumentaire pragmatique à partir de données statistiques. Il faut observer que le taux d’exploitation qui dégrade les conditions de travail et fait baisser les salaires réels – à savoir le salaire corrigé par l’inflation, donnant une approximation du pouvoir d’achat – est en hausse depuis les années 19806. En effet, si depuis les années 1940 les revenus ont globalement augmenté, aujourd’hui la paupérisation des travailleurs indépendants et salariés s’est aggravée relativement à la richesse produite qui, elle, est en hausse exponentielle. Le salaire moyen, dopé par les plus hauts revenus (chefs d’entreprise et cadres supérieurs de chaque catégorie professionnelle)7, mais ​​« le salaire réel d’au moins 90% des français a baissé ces dernières décennies ». C’est-à-dire que « le salaire réel du Français moyen, lui, ne cesse de baisser »8.

En 1945 la part de la valeur ajoutée produite par les travailleurs leur revenait pour plus de 80%, mais celle-ci est tombée à 67% en 2019. Concrètement, ces 15% de PIB grignotés aux travailleurs représentent 360 milliards sur le total des 2400 milliards. Les salaires réels, eux, stagnent depuis une décennie, et baissent même relativement à l’inflation ainsi qu’à la productivité9. Il y a bien un appauvrissement généralisé du salariat, soit une baisse globale du niveau de vie. Sous l’effet de la concurrence, les cadres de la production voient leur situation « privilégiée » se dégrader plus rapidement encore. Si entre les salariés les écarts de revenus diminuent, entre les salariés et les possédants (détenant les grands moyens de production et de circulation) ils augmentent10. Quand on sait que l’un des arguments massue pour imposer cette réforme est le déficit de 13 milliards, on ne peut que constater la supercherie. Il faut dire que ce chiffre est un montant prévisionnel sur dix ans… parmi d’autres prévisions. Il a été élaboré en prenant en compte les politiques de limitation des budgets et de stagnation des salaires (moins de salaire équivaut à moins de cotisation). Mais malgré toutes les tentatives pour le couler, le système reste excédentaire.

Travailler plus pour sauver les retraites du déficit donc ?

Ce présupposé ne colle pas à l’écosystème libéral. Aujourd’hui, reculer l’âge de départ ce n’est pas travailler plus longtemps puisque 40% des plus 62 ans ne sont pas en emploi et que les employeurs n’embauchent que rarement les individus de plus de 50 ans (seulement 56% des plus de 55 ans ont un emploi). Dans le taux global du chômage, les seniors représentent 25% ! Une fois la réforme passée, que faire de toutes ces personnes dans un système ultra concurrentiel générant la privation d’emploi ? Les aînés sont condamnés à attendre leur retraite chez Pôle emploi s’ils ont rempli avant l’heure leur quota de 42,5 ans de cotisation. Paradoxalement, ils vont donc peser sur les comptes de l’assurance-chômage que les libéraux veulent pourtant aussi « assainir ». Une bonne part d’entre eux sont également amenés à sombrer dans la misère ou à devenir de la main d’œuvre bon marché pour l’ubérisation, comme actuellement les « jeunes » de 18 à 35 ans. Si l’exploitation a déjà été maximisée en inventant le temps d’avant le travail, celui du jeune en formation perpétuelle devant tout accepter pour prouver qu’il mérite mieux plus tard, cette nouvelle réforme reproduit le schéma mais pour le temps d’après le travail. Le producteur est ainsi pressuré jusqu’au bout de sa vie. L’Homme est un filon à exploiter jusqu’à la dernière goutte, à l’image de ces groupes pétroliers spécialisés dans l’extraction du pétrole via des puits d’Afrique ou d’Amérique du sud en fin de vie11.

Puisque la nature du travail effectué durant sa vie, couplée aux conditions de travail, conditionne l’espérance de vie, c’est d’abord celle des ouvriers et des employés qui va continuer à baisser

Abordons un point crucial : celui de l’inégalité de l’espérance de vie. Puisque la nature du travail effectué durant sa vie, couplée aux conditions de travail, conditionne l’espérance de vie, c’est d’abord celle des ouvriers et des employés qui va continuer à baisser12. Certes, les cadres perdent plus rapidement en niveau de vie : leurs revenus se rapprochent de plus en plus des autres salariés. Mais leur espérance de vie, elle, est bien supérieure et ne cesse d’augmenter. Bien que, sous la pression managériale, leur travail soit de plus en plus répétitif et contrôlé, ils jouissent de conditions favorables. Comparativement aux ouvriers, ils sont 8 fois moins sujets aux accidents du travail (reconnus) et 15 fois moins aux maladies professionnelles. Si l’on prend en compte l’espérance de vie en bonne santé, le constat est encore plus accablant. Concrètement, un cadre de 35 ans appartenant à la génération 2009-2013 avait une espérance de vie de 47 ans (ce qui lui reste à vivre), dont 13 avec des problèmes physiques. L’ouvrier du même âge et de la même génération avait une espérance de vie de 31 ans, dont 17 dans un état problématique. Cotisant plus longtemps pour toucher moins, il avait qui plus est moins de temps pour profiter de sa pension. Enfin, un sans activité, lui, avait une espérance de 10 ans13.

Dali, Le sommeil, 1937

Le mauvais travail comme la privation de travail sont des crimes. Dans le contexte que nous connaissons, soit de destruction de nos protection sociales, d’augmentation des cadences et de chômage de masse, il n’est pas difficile d’imaginer le résultat des réformes du gouvernement sur les classes populaires !

Ce désastre est soutenu par une propagande de nature économique (le déficit donc) à l’œuvre depuis que le Régime général existe, le but étant de briser la logique du salaire attaché à la personne. Car en vérité, jusqu’en 2070 les ressources du système des retraites sont stabilisées. D’après le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites lui-même, les recettes des administrations de la sécurité sociale sont supérieures aux dépenses. C’est bien l’État monopolistique qui lui impose sans arrêt une dette dont elle n’est pas responsable. Il y a donc un vrai choix de mise en scène.

Le levier de la cotisation :

Pour mieux financer le système, il est tout à fait possible d’avoir recours à l’augmentation des cotisations (la part socialisée de la production des travailleurs) plutôt qu’à l’austérité. La cotisation étant à considérer comme un ajout de valeur ; un outil pour créer différemment de la valeur. Concrètement, nous avons pu subventionner l’hôpital public, verser pour 340 milliards de pensions chaque année ou encore créer des postes de fonctionnaires (de 500.000 à 5 millions aujourd’hui) sans avoir recours au crédit des banques et marchés financiers. Autrement dit, la Sécurité sociale, cette institution gérée par les intéressés et abreuvée de la valeur socialisée produite par les travailleurs, a majoritairement financé les grandes réalisations collectives (notamment l’hôpital). Comment ? En affectant une valeur pour anticiper et correspondre à la production supplémentaire à venir. « La cotisation correspond donc à ce qui va avoir lieu (il ne s’agit par de la redistribution d’un gâteau à partager, mais d’une nouvelle manière de créer de la valeur, sans capitaux privés) ». Le PIB n’a de fait pas chuté mais augmenté. De façon plus évidente : depuis 1979, les salaires des fonctionnaires sont ajoutés au PIB car on estime « qu’ils produisent ce qu’ils reçoivent en salaire » (A. Catin, séminaire 2022-2023 de Réseau Salariat, deuxième séance). Pourquoi ne pas en faire autant pour les retraités, les chômeurs ou le salaire en général ? Bien sûr, ce choix politique ne peut que s’opérer contre la logique accumulatrice du capital, donc dans un rapport conflictuel d’une extrême intensité.

Revenons à l’argument générique du déficit causé par la dépense publique en général. Ce poncif soutient à peu près toutes les réformes structurelles. Pour commencer à lui tordre le coup, revenons sur un chiffre constamment mis en avant : les 59 % de dépense publique par rapport au PIB. Contrairement à ce qui est sous-entendu par les experts de plateau, cela ne veut pas dire que 59 % du PIB est destiné à la dépense publique, mais qu’on compare une valeur (le PIB : l’ensemble des richesses économiques générées sur le territoire) à tout ce qui relève de la dépense publique : prestations sociales, mais aussi fonctionnement des administrations (consommations intermédiaires par exemple) ou encore salaires des fonctionnaires. En comparaison, le privé c’est 200 % du PIB en termes de valeur (les mutuelles, les salaires, les consommations intermédiaires, etc.).

Dali, La tentation de saint Antoine, 1946

Le secteur privé est donc bien plus onéreux pour la société que le public, notamment parce qu’il doit nourrir une armée d’actionnaires ne répondant pas à une organisation du travail tournée vers la satisfaction des besoins de la population. À l’inverse, le secteur public, lorsqu’il n’est pas aux mains d’un État représentant les intérêts de la classe dirigeante, a pour tâche de coordonner au mieux la production dans l’intérêt de la majorité. Pour ce faire, il doit déployer sur le territoire une série d’infrastructures dont les monopoles se servent allègrement pour exister dans le jeu de la concurrence mondialisée14. Les appareils d’État leurs sont utiles pour réduire les droits sociaux conquis dans le cadre national. Les libéraux comme les libertariens auront beau se targuer de ne pas avoir à faire à l’État et que celui-ci n’a pas à interférer dans les affaires économiques, leurs politiques n’existent que par son intermédiaire, ainsi que par le pillage des subventions et de l’impôt !

Les aides aux grandes entreprises sont comptabilisées dans la dépense publique. C’est même le premier poste de dépense, avec 157 milliards en 2021, soit deux fois le budget de l’Éducation nationale et 30% du budget de l’État !

Pour ainsi dire, par l’entremise de l’État, ils ne cessent de détruire la cohérence territoriale sous prétexte de « concurrence naturelle », et les monopoles publics (énergie, transports, télécommunications, réseaux sociaux, etc.) pour imposer le leur. Car le capitalisme est dans une phase à la fois concurrentielle pour les salariés et monopolistique à l’échelle des moyens de production de plus en plus concentrés dans quelques firmes. La contradiction est criante : en dérégulant un secteur public fort et en concentrant le travail, les propriétaires sapent les fondations qui permettent au capital de croître et de se reproduire en toute sérénité. Ce qui nous fait dire, pour paraphraser K. Marx, que les capitalistes scient la branche sur laquelle ils sont installés. Ou encore, dans une formule plus précise :

« Le développement de la grande industrie sape sous les pieds de la bourgeoisie le fondement même sur lequel elle produit et s’approprie les produits. Elle produit avant tout ses propres fossoyeurs. » (Le Capital, livre III, MEW, 25, pp. 473-474 ; P 1, p. 173).

Ajoutons qu’aujourd’hui les aides aux grandes entreprises sont comptabilisées dans la dépense publique. C’est même le premier poste de dépense, avec 157 milliards en 2021, soit deux fois le budget de l’Éducation nationale et 30% du budget de l’État ! Subventions, crédits d’impôts et exonérations de cotisations en tout genre font le bonheur des rentiers… et le déficit de nos institutions du travail ! Les ménages contribuent aujourd’hui plus au budget de l’État que les entreprises (cf. Maxime Combes, économiste d’Attac). D’un autre côté, entre 2017 et 2021, les prélèvements obligatoires sur les ménages ont augmenté de 54 milliards15. Ainsi, les marques de cette offensive du capital contre le travail s’avèrent brutales en période d’instabilité. La crise des subprimes de 2008 a rapporté 156 milliards aux grands groupes et aux banques, celle du Covid 240 milliards environ, sans contrepartie. Des dons gracieux largement accumulés, que la société ne reverra sans doute jamais et qui légitiment aujourd’hui les politiques d’austérité.

La destruction de l’assurance-chômage comme droit au salaire en-dehors de l’emploi (T)

Deux axes sont à retenir dans ce projet de loi relatif « au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi ». Nous nous y attardons car cette réforme a largement été négligée dans le débat public, y compris dans le mouvement social :

Un précédant confirmé

Ce premier volet voté le 11 octobre et adopté par le sénat le 25 octobre 2022, entérine l’ancienne modification des modalités d’accès et de calcul des allocations chômage, dont la seconde partie devait arriver à échéance le 31 octobre 2022.

Dali, Rock and Roll, 1957

a) Cette précédente réforme a institué, dans sa première partie (validée fin 2019), le fait de devoir travailler six mois à temps plein au lieu de quatre, sur une période de vingt-quatre mois au lieu de vingt-huit, pour pouvoir prétendre à des allocations. Le rechargement des droits est lui aussi devenu plus compliqué, puisqu’il faut désormais six mois de contrat plein contre un mois auparavant. Là où il était possible de travailler, de se retrouver au chômage puis de retrouver un contrat court pour recharger ses droits, la chose n’est donc quasiment plus permise… à l’heure d’un salariat soumis aux contrats courts ! C’est d’ailleurs l’architecte de la réforme la plus récente, Olivier Dussopt lui-même, qui a promulgué la logique du bonus/malus en remplacement de la taxation des entreprises qui en abusaient. Un dispositif bien moins contraignant.

b) Plus violent encore, la seconde partie de la réforme Pénicaud (validée fin 2021), a inauguré un nouveau mode de calcul : là où l’indemnité se basait uniquement sur le nombre de jours travaillés, les jours non-travaillés sont maintenant pris en compte. Le montant résulte d’une moyenne des deux, ce qui a engendré une baisse des allocations de 17 % à 41 % en moyenne. L’effet pervers est une baisse progressive des indemnités à chaque rechargement, notamment pour celles et ceux qui alternent contrats courts et périodes de chômages étendues, puisqu’on gagne toujours moins au chômage qu’avec un emploi16. Concrètement, l’indemnité a baissé de 150 euros en moyenne, touchant 1,8 millions de chômeurs.

Des allocations dépendant du « marché de l’emploi »

La réforme de cette rentrée enclenche en prime la possibilité de moduler, par décret, la durée d’indemnisation en fonction de l’état du marché. Conçue à l’origine comme une protection face aux aléas de la conjoncture et de la concurrence, dirigée aux trois quarts par les ouvriers avant 1967 et les ordonnances De Gaulle, l’assurance-chômage est à présent gérée par l’État et directement soumise aux critères flous du « marché ». Plus simplement, des critères politiques en faveur du capital pilotent désormais les allocations, ce qui va permettre une économie de 4 milliards par an (un transfert d’argent du public au privé) et une soumission accrue de la main-d’œuvre (la flexibilisation).

a) Pour tous les nouveaux demandeurs s’inscrivant à partir du 1er février, la durée maximale d’indemnisation sera réduite de 15% à 25% dans deux cas : lorsque le taux de chômage dans la population active reste en-dessous de 9% ou que son augmentation ne dépasse pas 0.8% sur un trimestre. Un chômeur qui pouvait alors prétendre à 24 mois d’allocations (36 au-delà de 55 ans) ne disposera plus que de 21 mois, voire seulement de 18 mois. Le 23 décembre, un nouveau « scénario » a été retenu dans la version transmise aux syndicats, à savoir qu’en-dessous de la barre des 6% de chômeurs la durée de l’allocation pourra être réduite de 25% à 40%. O. Dussopt a même laissé échappé la possibilité d’un durcissement accru en cas de baisse sous les 5%, soit le prétendu plein-emploi sur lequel nous reviendrons. Une véritable entreprise de spoliation d’une protection issue du travail des allocataires. Même si les cotisations chômage des salariés ont été supprimées en 2018 pour individualiser le chômage17, il reste que l’impôt finançant le manque à gagner et les cotisations que les patrons paient toujours sur nos salaires, dépendent de ce qui est produit. Selon Olivier Véran (porte-parole du gouvernement), « 18 mois c’est suffisant pour trouver un emploi ». Cette durée a été décidée sur la base de la conjoncture statistique actuelle, le gouvernement ayant décrété que, puisque le taux de chômage est aujourd’hui inférieur à 9% (environ 7,3%), la situation pour les demandeurs n’est pas si critique. Nous sommes dans la période « verte ». Heureusement pour nous donc, si le taux de chômage passe au-dessus de 9%, ou qu’il progresse de 0.8% en un trimestre, on en reviendra à l’ancienne durée correspondant à la période « rouge » ! Car pour Olivier Dussopt, « quand tout va bien, il faut que les règles soient plus incitatives ». Et tout va bien puisque 373 100 emplois sont à pourvoir nous dit-on. Seulement, ce sont des jobs mal payés, en temps partiel, précaires et inégalement répartis sur un territoire qui compte des millions de chômeurs. Le ridicule de cette réforme annonce tout son tragique : la disparité du territoire n’est pas prise en compte alors que le taux de chômage varie du simple au triple en fonction de là où l’on se trouve. Il est évidemment peu envisageable pour la plupart des gens de changer leur quotidien en quittant leur lieu de vie uniquement dans l’espoir de trouver un emploi.

La durée maximale d’indemnisation sera réduite de 15% minimum, jusqu’à 25%. Un chômeur qui pouvait prétendre à 24 mois d’allocations (36 au-delà de 55 ans) ne disposera plus que de 21 mois, voire 18 mois

Pas de panique ! Les « titres de séjour pour les secteurs en tension » viendront placer des ouvriers extra-nationaux dans les emplois non pourvus, le plus souvent des sous-emplois… mettant en concurrence immigrés et chômeurs forcés de se diriger vers ces postes. De toute évidence, aucune mesure annoncée ne vient répondre aux besoins des privés d’emploi : il y a plus de 3 164 200 chômeurs (catégorie A), auxquels il faut ajouter 2 206 900 personnes en « activités réduites » ou temps partiels subis (catégories B et C), ainsi que 730 000 en formation, en contrat aidé ou en cours de création de d’entreprise. Sans compter tous les non-inscrits (catégories D et E)18.

Un taux de chômage en hausse qui suit la courbe du taux d'exploitation :

En réalité, depuis les années 1970 l’armée de réserve des chômeurs est en augmentation, notamment au sein des classes populaires essentiellement constituées d’ouvriers et de salariés. Et lorsqu’on est épargné par le chômage, comme c’est plus souvent le cas pour les professions intermédiaires (instituteurs, infirmiers, secrétaires, techniciens, etc.) et les cadres (d’entreprises et du public, ou les professions libérales), c’est toujours pour connaitre une chute relative (par rapport au PIB) du pouvoir d’achat.

Autant dire que rien ne s’améliorera jamais. D’abord parce que l’économie rentre en phase de récession et que l’inflation galope. De fait, on voit mal comment la situation pourrait se résorber alors même que la concurrence à la survie s’accroît. Ensuite, parce que tout est fait pour réduire les statistiques du chômage en radiant, en restreignant l’accès aux prestations et en faisant accepter n’importe quel contrat aux allocataires. Si le scénario des 6%, voire des 5%, a été ajouté, c’est bien que l’objectif est de passer ces seuils pour vider de sa substance le chômage. Déjà, la majorité des chômeurs en fin de droit retrouvent un emploi parce qu’ils prennent ce qui se présente à eux : généralement un emploi sous-payé par rapport à leur niveau de qualification. Pour compléter le tableau, un chômeur de longue durée sur deux a plus de 55 ans, à savoir l’âge de péremption des employés pour les employeurs. Enfin, il n’y aura pas d’amélioration parce que ce système de période « verte » et de période « rouge » est piloté politiquement par décrets gouvernementaux, sur les conseils d’experts sélectionnés avec soin.

Dali, Les Eléphants, 1948

Ce qui marque dans tout ça, c’est bien le changement radical de logique : d’un salaire continué validant le citoyen en tant que producteur n’ayant pas besoin de faire du chiffre d’affaire ou d’un employeur, puisque tout est assuré par une caisse de salaire socialisé (caisses économiques recueillant la valeur produite), on passe à un filet de sécurité ajustable achetant la paix sociale pour mieux mettre au travail. Ils assument frontalement la logique de l’offre et de la demande la plus grossière. Puisque ce système base les allocations sur la tendance de l’emploi « en général », il ne prendra pas en compte l’état de la région, ni même du secteur. La situation sera la suivante : si on est ingénieur et qu’il n’y a que de la place en restauration, il faudra quand même y aller !

b) Pour parfaire ce dispositif, l’un des amendements porté par les députés de la macronie et de la droite classique modifie la définition de l’abandon de poste. Maintenant, un travailleur abandonnant son poste pourra être privé de ses indemnités pour lesquelles il aura pourtant cotisé. Et peu importe la raison (harcèlement, burn-out, etc.).

c) En outre, restreindre l’accès aux allocations est un instrument politique direct pour la classe dirigeante qui cherche à maintenir sa position. Radier les chômeurs permet de lisser artificiellement les chiffres et de dire « regardez, notre chômage baisse grâce à nos mesures ». En clair, la majorité des allocataires vont devoir accepter n’importe quel emploi puisque les prestations ne suffiront plus pour vivre et que, désormais, la radiation est assurée au bout de deux CDI dans la même année et sur le même poste, après un CDD ou une mission d’intérim. Plus globalement, la plupart des travailleurs ne seront tout simplement plus éligibles. Ce processus est observable en Allemagne où le quasi plein-emploi rime avec sous-statuts, précarité, bas salaires et réduction forcée des heures travaillées, ainsi qu’augmentation de la pauvreté19. Dans ce pays, une grande part de la masse laborieuse est sortie des statistiques du chômage en l’espace de quelques années. Cependant que le recours à l’aide alimentaire ne cesse de croître, la courbe du chômage baisse. La réalité sociale est masquée ! Encore une fois, tout est fait pour atteindre cet objectif, car si les statistiques du chômage baissent, nous toucherons toujours moins longtemps les allocations pour lesquelles nous avons cotisés.

Il faut relever que, déjà, entre 25 % à 45 % des chômeurs éligibles ne demandent pas leurs allocations20. Ce sont essentiellement des jeunes qui ne savent pas qu’ils ont ouvert des droits. Du reste, tout est fait pour ne pas informer le travailleur, voire le décourager. Ce qui renvoie au grand nombre de personnes ne faisant pas les démarches pour toucher les prestations sociales auxquelles ils auraient pourtant droit. Par ignorance totale, adhésion au discours stigmatisant sur les « fainéants », crainte d’être pointés du doigt ou du fait de procédés intentionnels vicieux21. Preuve s’il en est qu’on ne recherche pas naturellement à vivre des aides, comme le discours historique de la bourgeoisie sur la paresse endémique des masses populaires le sous-tend : « ces tire-au-flanc par nature » disait F. W. Taylor, l’ingénieur ayant perfectionné l’exploitation capitaliste à l’usine (The Principes of Scientific Management, paru en 1911). Pôle emploi lui-même met en avant que 88% des chômeurs cherchent activement un emploi, et ce malgré l’état déplorable des conditions de travail dans la plupart des secteurs. Effectivement, la moyenne (en baisse) du montant de l’allocation est de 1050 euros, soit rien de très enviable, tandis que la moitié des inscrits ne sont plus indemnisés suite au nouveau mode de calcul.

Dali, L’énigme Hitler, 1939

Cette réforme est en somme une attaque en règle non seulement contre les démissionnaires, mais également contre les allocataires qui refuseraient un emploi. Faire la guerre au problème des chômeurs, ça a la vertu de masquer l’état de pourrissement avancé de l’économie capitaliste. Celui-ci n’étant plus en capacité de fournir des emplois de qualité, avec des niveaux de rémunération acceptables, une mobilité domicile-travail décente ou de garantir des gardes d’enfants pour les mères, il oblige. Et en rajoute une couche avec les « titres de séjour sur les métiers en tension ».

L’État austéritaire au service des monopoles (PI)

L’ancien dirigeant du MEDEF (Mouvement des entreprises de France, le “syndicat des patrons”, NdlR), Denis Kessler, déclarait sans filtre dans un article du journal Challenge du 4 octobre 2007 : « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis entre 1944 et 1952, sans exception [les conventions collectives instituant un contrat de travail attachant le salaire au poste et reconnaissant la responsabilité patronale, le statut de la fonction publique et la qualification attachée à la personne, le régime général de la sécurité sociale, les régimes spéciaux de la sécurité sociale et ses salariés à statuts, etc.]. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». Son prédécesseur, Yvon Chotard, vice-président du CNPF (Conseil National du Patronat Français, ancien MEDEF), avouait quant à lui la centralité du rapport de force capital/travail : « on ne fait pas la même politique avec un PCF à 20% et un PCF à 10% ».

Il n’y aura pas d’amélioration parce que ce système de période « verte » et de période « rouge » est piloté politiquement par décrets gouvernementaux, sur les conseils d’experts sélectionnés avec soin

On aura compris la logique générale :

Ce que l’on donne aux grandes entreprises par les baisses de fiscalité, les suppressions de taxes et de cotisations22, on le prend aux masses populaires par des coupes drastiques dans le budget des prestations sociales et des services publics, alors que ceux-ci sont bénéficiaires et bien moins coûteux pour la société que le privé lucratif (complémentaires, assurances, etc.). Leur but n’est donc pas de faire « des économies ». Du moins, si cela est ressenti et formulé de cette manière à l’échelle de l’exploiteur individuel, il s’agit moins d’une stratégie consciente commanditée par un groupe volontariste décidé à accentuer son emprise, que d’un processus. Le développement des forces productives23 dans lequel des stratégies trouvent leur place, et qui tend à organiser cette formidable entreprise de concentration du capital pour économiser le travail vivant (nous) et ainsi mieux réaliser la plus-value24. On parle d’un véritable transfert des fonds publics organisé l’État vers quelques monopoles privés. Factuellement, l’étatisation entraîne toujours une baisse générale des prestations et une augmentation du taux d’exploitation. On l’a vu en Angleterre où les indemnités sont passées de 1000 à 400 euros environ.

« La production capitaliste tend constamment à surmonter ces bornes qui lui sont immanentes, mais elle ne les surmonte que par des moyens qui lui opposent ces bornes sur une nouvelle et plus vaste échelle » (Le Capital, Livre III, MEW, 25, p. 260 ; P 2, p. 1032).

C’est ainsi qu’il faut comprendre la phrase de Marx : la phase dans laquelle nous sommes est celle de la concentration des moyens de production, des parts de marché et de l’emploi dans des monopoles pour maintenir le taux de profit de dominants. C’est aussi l’époque de la recherche de débouchés lointains (les guerres), de nouveaux moyens de faire circuler les capitaux et de l’augmentation du taux d’exploitation : augmentation du contrôle hiérarchique, des cadences, du geste répétitif, des sanctions, etc.25 Quitte à faire venir de la main d’œuvre étrangère afin de peser sur les salaires, donc de faire baisser « le coût de production » pour le capitaliste. Une mise en concurrence artificielle qui sert également à détourner la conscience de classe.

Le retour au travail d'avant le contrat d'emploi :

Retenons qu’actuellement le système économique n’a plus pour objectif de produire mais de concentrer les pouvoirs technologiques, politiques et économiques entre les mains de quelques-uns. Et que l’entreprise de dépeçage des statuts de salariés, de la fonction publique, des conventions collectives ou des prestations sociales, accompagne la tendance à l’accroissement de l’exploitation qui trouve son achèvement dans ce que l’on nomme l’ubérisation. Sous ce mot se cache le retour à la forme canonique de l’exploitation capitaliste : le travail à la tâche bâti sur le mythe de l’individu libre sur un « marché libre ». Les capitalistes (fournisseurs, prêteurs, clients de l’activité) préfèrent évidemment les indépendants, dont la rémunération émane du droit commercial imposé, à des salariés organisés détenteurs de droits et liés eux par un contrat. En effet, le droit commercial précédant le droit du travail masque la réalité du rapport social basé sur l’exploitation, là où le contrat de travail (et le droit qu’il lui est attaché) matérialise le lien de subordination, dévoilant l’existence d’un employeur jusque-là dans l’ombre. C’est tout le tragique du quotidien des livreurs Uber qui, jouissant d’un statut d’indépendant, sont pourtant pressurés par les normes d’une plate-forme qui ne leur appartient pas. Leur combat s’est immédiatement porté sur la nécessité d’accéder au statut de salarié pour se protéger des aléas. Car ce qu’ils vivent est une régression : l’inverse de tout le mouvement qui a consisté à enrichir les personnes de la reconnaissance inconditionnelle de leur contribution à la production de valeur, quoi qu’elles fassent, sur la base de la dissociation entre l’activité productive et le salaire.

L’austérité est à considérer comme le mode opératoire de cette manœuvre capitalistique, en tant qu’elle sape les institutions du travail assurant notre protection face au marché des monopoles. Présentée comme nécessaire face au danger de la dette, elle est à l’économie ce que la sobriété heureuse est à l’écologie : un outil d’atomisation de la conscience collective et d’inversion des responsabilités demandant aux petits de faire des efforts pour les gros, tandis que les gros n’en font aucun. Les nouveaux budgets pour 2023, à savoir les projets de loi de la Sécurité sociale et du budget de l’État de 2023, ont commencé à passer en 49-3 les 18 et 20 octobre. C’est à volonté, pourquoi s’en priver ?

Le « canon budgétaire » contre la souveraineté populaire (T)

Pour finir le boulot de décennies de contre-révolution sociale, le gouvernement s’adosse à la structure à l’ambition continentale qu’est l’Union Européenne. En tant qu’ensemble où la concurrence domine, où le capital circule librement et où la monnaie n’appartient pas aux nations, elle est l’outil du parachèvement néolibéral sacrifiant le travail au profit du capital. Et pour cause, la matrice de son droit a toujours été « la concurrence libre et non faussée ».

Dali, Persistance de la mémoire, 1931

Ainsi, il ne faut pas s’étonner du fait qu’avant même que les parlementaires se soient emparés des questions budgétaires déterminant l’orientation politique du pays, des gages aient été envoyés à l’Union Européenne sous la forme d’un programme. Il montrait comment allaient évoluer dans le temps les dépenses publiques et les efforts allant être mis en œuvre dans « le bon sens ». C’est-à-dire que, déjà en avril 2022, le gouvernement s’était engagé à limiter la dépense publique à 0.6% par année pour réduire le déficit à 3% à la fin du quinquennat. Cette feuille de route a préparé les recommandations de juin de la Commission européenne. C’est à ce moment là qu’elle suggère les aménagements auxquels les États doivent souscrire, à savoir un panel de normes à appliquer sur un semestre pour pouvoir espérer accéder à des prêts avantageux26. Dans cette perspective, la France fait évidemment office de bon élève et, lorsque les parlementaires de la majorité présidentielle débattent dans l’hémicycle, ils se font les soldats de ces orientations.

D’un côté, donc, (a) la loi du budget de la Sécurité sociale visant à limiter les prestations sociales, de l’autre (b) le projet de loi de finance 2023 garantissant d’énormes avantages aux grandes entreprises. C’est tout simplement la formule de transfert de la richesse socialisée27dans les poches des monopoles. Puisque l’on assiste à une baisse de la fiscalité pour la classe dominante et leurs monopoles, il faut équilibrer la situation par les contre-réformes sabrant le budget des prestations sociales (retraites, chômage, maladie, etc.).

a) L’État n’ayant pas le contrôle sur la monnaie, actuellement domaine de la Banque Centrale Européenne, il ne peut ni baisser le taux des prêts pour stimuler l’investissement, ni créer de la monnaie pour soutenir les secteurs en difficulté ou les collectivités locales. Il lui reste donc la fiscalité et le social pour répondre aux normes budgétaires européennes. Or, la dépense publique est essentiellement celle de la protection sociale (avec en premier la maladie et la retraite) qui, comme nous l’avons montré, est de plus en plus fiscalisée et étatisée. C’est-à-dire que la bourgeoisie fait supprimer progressivement les cotisations salariales au profit du mode de financement par l’impôt (CSG par exemple), expulsant les syndicats des instances décisionnelles de la Sécurité sociale. Ce qui est déjà le cas pour l’assurance-chômage où seuls décident les employeurs et l’Etat. Cette tentative de fiscaliser les 500 milliards de la Sécurité sociale (dont environ 340 milliards de retraites) vise à permettre au gouvernement de décider des coupes à effectuer pour baisser les dépenses publiques.

Présentée comme nécessaire face au danger de la dette, l’austérité est à l’économie ce que la sobriété heureuse est à l’écologie : un outil d’atomisation de la conscience collective et d’inversion des responsabilités

b) Ce que porte le deuxième terme de cette équation, à savoir le projet de loi de finance 2023, c’est les biens mal nommées « aides aux entreprises » (2 000 aides environ) censées stimuler « la concurrence libre et non faussée » (que l’on sait faussée et contrainte). Elles représentent environ 200 milliards en niches fiscales et exonérations de cotisations28, soit 8,5% du PIB et 41% du budget de la loi (c’est environ 40 milliards de cadeaux de plus que les précédents budgets). Les contreparties sont évidemment inexistantes et la moindre idée de contrôle public rejetée par suspicion de « soviétisme ». Le texte prévoit par exemple de supprimer la caisse spécifique consacrée aux accidentés du travail et aux maladies professionnelles, soit de 3 à 4 milliards. Même si elle n’est pas déficitaire, la supprimer permet de délester les cotisations obligées des patrons pour tout regrouper dans la maladie en général. C’est par ce genre de procédés mesquins et technocratiques consistant à fragmenter les mesures pour invisibiliser la cohérence d’ensemble, que toute une partie des décisions politiques échappent à la population !

Sortir de l’engrenage des réformes concurrentielles ? (PI)

Sur le fond, cette destruction de la Sécurité sociale a pour effet de transformer la perspective émancipatrice d’un citoyen responsable de la production, avec des droits et des devoirs (exercer sa qualification, gérer son entreprise, participer aux institutions économiques et politiques), en celle d’un être infantilisé et constamment moralisé, voire terrifié par le jeu de la concurrence dans lequel il se débat. Le projet porté par les monopoles et leur fondé de pouvoir, l’État, est d’en finir avec le salaire en dehors de l’emploi. Dès lors, il faut le disqualifier à tout prix, sans relâche, dans une guérilla idéologique et législative constante.

Dali, Le moment sublime, 1938

a) Leur perspective est donc établie. C’est bien pour cette raison que le salaire de référence utilisé comme base pour la pension de retraite est passé des dix aux vingt-cinq meilleures années. Et on peut déjà prévoir, comme Bernard Friot l’analyse, que c’est la carrière complète qui deviendra l’échelle de valeur pour le calcul des pensions. Puisque le salaire de référence aura perdu de son sens, le calcul sera reporté sur le salaire moyen de la carrière, avec une pension nulle pour les carrières discontinues (les femmes seront particulièrement impactées). Ils feront finalement dépendre le montant des pensions des cotisations individuelles, celles que chacun aura pu mettre de côté sur les « comptes d’activité ». Ce qui achèvera l’inversion totale du sens de la mise en commun des richesses que ces institutions du travail portent. Quant à l’assurance-chômage, elle doit ressembler à un fin filet de sécurité, sans doute voué à disparaître au profit d’un revenu minimum universel, sorte de RSA augmenté (bientôt accessible sous réserve de 15-20 heures) tirant mécaniquement les salaires vers le bas et plaçant l’individu sous tutelle étatique (Cf. Présidentielles 2022 : tout sera mini dans notre vie).

Le salaire n’est plus la contrepartie du travail mais le préalable au travail. Et ce n’est plus la nature de l’activité qui détermine le salaire mais le statut de producteur.

b) Notre perspective se dessine. Celle du combat pour le prolongement de la qualification à la personne (la fonction publique) où ce n’est pas le poste qui est le support de la rémunération, mais la personne elle-même. Le travailleur est ainsi travailleur même s’il n’est pas au travail, ce qui lui permet de participer pleinement à la vie des grandes orientations politiques de la société et de préserver son intimité (les activités pour nous) du champ économique. Qui plus est, ce modèle social éradique le chômage car « supprimer le chômage ce n’est pas multiplier les emplois mais les supprimer puisque, par définition, l’emploi génère le chômage. Qui n’a pas de poste est au chômage » (B. Friot, séminaire 2022-2023 de Réseau Salariat, première séance).

Un déjà-là à prolonger :

Autrement dit, pour dépasser l’emploi l’idée, est bien d’étendre largement le salaire continué du régime général ou de la fonction publique, en l’intégrant à la citoyenneté. Cela revient à enrichir la citoyenneté d’un droit au salaire inconditionnel et inaliénable. Contrairement au marché présumant l’individu improductif et le forçant à se vendre pour constamment prouver qu’il mérite de vivre, ce statut de producteur présume que tout le monde est en capacité de créer de la valeur économique et de décider. Le salaire n’est plus la contrepartie du travail mais le préalable au travail. Et ce n’est plus la nature de l’activité qui détermine le salaire mais le statut de producteur.

Quoique l’on pense de ce qu’est devenu le fonctionnariat, dans la fonction publique il n’y a pas de chômage et les travailleurs conservent 100% de leur salaire en cas d’arrêt de leur travail. Durant les confinements, les 84% rémunérés à travers le salaire à la qualification du poste des conventions collectives ne l’étaient pas sur la base de l’activité29. Cela est encore plus vrai concernant le salaire à la qualification personnelle de la fonction publique où ce qui est rémunéré est la qualification personnelle. C’est pour cette raison que la retraite de la fonction publique est la poursuite du dernier salaire alors même que dans la fonction publique d’État il n’y a pas de cotisation et de caisse : le trésor public continue à payer les fonctionnaires jusqu’à leur mort parce que leur qualification ne s’arrête pas avec la fin du service.

Dali, Apparition d’un visage et d’un compotier sur une plage, 1938

Il faut nous défaire du défaitisme qui s’abreuve d’un sentiment d’infériorité parcourant notre être. En renouant avec la réalité, nous dégageons l’horizon des possibles : puisque 17 millions des plus de 18 ans dépendent encore de ce salaire personnel (50% des actifs), ce qu’il nous reste à faire c’est de développer la conscience de notre héritage pour regagner confiance en notre capacité à faire contre-pouvoir. Recenser les luttes, avancer des programmes et trouver de nouvelles modalités de combat, tout cela dans le sens d’un principe :

L’égalité dans l’abondance, reposant sur la capacité des citoyens-producteurs, mis en responsabilité, à décider des grandes orientations politiques et économiques, s’opposant au luxe bourgeois gaspilleur et ostentatoire, fondé sur de multiples exploitations et la confiscation des souverainetés collectives comme individuelles.

Alaoui O.

  • 1 Entretien au « Monde » : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/02/darmanin-et-dussopt-sur-le-projet-de-loi-immigration-nous-proposons-de-creer-un-titre-de-sejour-metiers-en-tension_6148145_3224.html
  • 2 Autrefois exclues du champ social de la production, cantonnées à des tâches domestiques privées peu valorisées, les femmes ont gagné en autonomie par l’accès à l’emploi. Mais le capitalisme, emporté dans son nécessaire processus d’accroissement des forces productives, n’a pas détruit le tissu familial traditionnel par humanisme : il avait besoin d’une nouvelle main d’œuvre peu coûteuse. Il se sert donc de leviers (les oppressions) pour augmenter ses profits, et c’est la conjecture qui détermine lequel activer. En cela, il n’est pas sexiste ou raciste en soi mais doté d’une pure raison instrumentale. Lui opposer un universalisme de classe permet ainsi de traiter les oppressions sans récupération possible.
  • 3 Antoine Vatan, La situation de la classe laborieuse en France, 2022, pp. 39-45
  • 4 Les chômeurs sont les privés d’emploi sur un marché capitaliste où la masse salariale est avant tout ajustée aux taux de profit des monopoles, qui fluctue en fonction de la conjoncture économique : c’est-à-dire de la férocité de la concurrence
  • 5 En effet, le 49-3 est utilisable à volonté pour les questions de budget mais pas pour les autres sessions où il est unique : à ce jour nous en sommes au dixième !
  • 6 Par taux d’exploitation il faut entendre l’exploitation du travail par le patronat : plus la productivité augmente, plus le taux d’exploitation croît et plus le salaire réel baisse. La plus-value étant prélevée sur le salaire.
  • 7 Le cadre supérieur constitue la couche tampon qui représente une infime fraction du salariat. Son job consiste à appliquer des normes permettant d’augmenter le taux d’exploitation dans l’entreprise. Concrètement, il ne produit pas et ne met pas en circulation la marchandise (métiers de la vente), mais est payé à favoriser l’extraction de la plus value. Soumis à la bourgeoisie, son salaire est d’ailleurs directement issu de cette plus-value. Il est trader ou manager, et porte en lui une conscience malheureuse car il n’a pas de sens en-dehors du capitalisme, en plus de ne posséder aucun savoir-faire.
  • 8 Antoine Vatan, La situation de la classe laborieuse en France, 2022, p. 73.
  • 9 Idem, p. 15.
  • 10 Idem, p. 54-57.
  • 11 On pensera au grand-père de l’actuelle ministre en charge de la transition énergétique, Pannier-Runacher, qui était jusqu’en 2020 l’un des dirigeants du groupe Perenco. La stratégie est simple : limiter les « investissements techniques » dans des pays où le pillage règne en s’offrant les puits en bout de course, mais dont il est possible de profiter d’infrastructures déjà opérationnelles (bien que ne respectant aucune norme de sécurité). Autant d’économies faites au détriment des populations et de leur environnement.
  • 12 Depuis les années 1970, on note un rapprochement de l’espérance de vie des hommes et des femmes. Alors que, historiquement, un facteur biologique accorde aux femmes une plus grande espérance de vie, depuis leur entrée massive sur le marché du travail, celle-ci tend à se rapprocher de celle des hommes. Preuve que l’égalisation des conditions de vie sous le capitalisme se fait toujours par un nivellement vers le bas.
  • 13 Données tirées d’études de l’INSEE consultable en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383438
  • 14 Contrairement à ce qui est dit, plus un pays à des infrastructures développées, plus ce pays est « attractif ».
  • 15 Voir : https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/fiscalite-des-menages-54-milliards-deuros-en-valeur-de-2017-2021
  • 16 « Par exemple, si pendant une année vous travaillez sept mois, puis que vous êtes trois mois chômage, puis vous travaillez à nouveau deux mois, l’indemnité est désormais calculée sur la moyenne de vos revenus, conduisant mécaniquement à une baisse du « salaire moyen » puisqu’on gagne moins au chômage qu’en travaillant ». Dans : https://lvsl.fr/le-gouvernement-cherche-a-faire-payer-aux-travailleurs-le-cout-du-mauvais-fonctionnement-du-marche-entretien-avec-arthur-delaporte/
  • 17 Le salarié aura eu plus en salaire net au début, mais moins de prestations et de services publics. Donc il sera en définitive victime d’une perte sèche, en plus d’être dépossédé d’un moyen de tenir le rapport de force avec les grands patrons puisqu’il n’a dès lors plus de représentant syndical aux caisses de l’assurance-chômage. C’est une déclinaison de la logique des comptes d’activité individuels pour les retraites.
  • 18 Résumé de l’aberration numéraire par ici : https://www.frustrationmagazine.fr/quelle-est-cette-nouvelle-reforme-de-lassurance-chomage/?fbclid=IwAR31yscx8RHUrlJHTodSbJttDR55vbgMKj0k1I95sPjHWH7WQ-bmaPI1fbU
  • 19 Pas besoin d’aller plus loin que ce média libéral : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-prosperite-allemande-est-un-cauchemar-pour-40-de-ses-citoyens-774658.html
  • 20 Selon l’étude de la DARES (La Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) pour la période du 1er novembre 2018 au 31 novembre 2019
  • 21 « Un tiers des foyers éligibles ne touchent pas le RSA », dont 17% par mauvaise indication de l’outil de microsimulation selon la DARES : https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/un-tiers-des-foyers-eligibles-ne-touchent-pas-le-rsa-comment-savoir-si-vous-y-avez-droit
  • 22 À travers le paquet de mesures pour « le pouvoir d’achat » de cette rentrée, la suppression de la redevance audiovisuelle travaille dans ce sens. La suppression de la cotisation de la valeur ajoutée sur les entreprises (CVAE) du projet de loi des finances 2023, qui fait environ 15% du budget des collectivités territoriales, également. Alors que l’on demande à ces collectivités de réduire leurs dépenses de 0,5 %, sobriété oblige, on leur enlève cette cotisation cruciale qui leur permet d’assurer les missions élémentaires auprès des populations. De même, le CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi créé en 2013), soit un allégement des cotisations sociales, est un don de 20 milliards fait aux grandes entreprises. Il devait permettre la création d’un million d’emplois mais en a réalisé 100 000, la majorité de l’argent ayant été placé sur les marchés financiers ou reversé sous forme de dividendes aux actionnaires.
  • 23 L’ensemble des connaissances, des savoirs-faire, des individus et des moyens de productions (outils, machines, etc.).
  • 24 La contradiction se niche dans le fait que plus le capital économise le travail vivant pour augmenter la plus-value, plus il rend la réalisation de la plus-value difficile. Son extorsion n’est en effet possible qu’à partir du travail vivant. Se référer à loi de la baisse tendancielle du taux de profit, faisant les crises à répétition du capitalisme. Nous la résumons dans Les allocs c’est du travail !
  • 25 Antoine Vatan, La situation de la classe laborieuse en France, 2022, p. 70-71
  • 26 Depuis la crise des dettes souveraines européennes de 2011-13, un traité a été mis en place pour coordonner et contrôler les politiques des États. Il se traduit par le semestre européen.
  • 27 Cette répartition primaire, effectuée à la base du processus de production, et faisant 1 tiers du PIB actuel, aux côtés des salaires directs et des impôts.
  • 28 De type CICE, suppression de l’ISF, bouclier fiscal statuant que l’impôt direct ne peut excéder 50% des revenus d’un particulier, etc.
  • 29 Les conventions collectives sont une tentative de prolonger le salaire à la qualification des fonctionnaires dans le privé. Elles permettent aux salariés d’être propriétaires de leur poste.