Rédigé par des membres des Groupes Archéo En Lutte – Communiqué du 19 octobre 2022
Il est toujours difficile de dessiner les contours du prochain mouvement auquel nos efforts réguliers contribuent, surtout depuis les Gilets Jaunes : d’où surgira-t-il ? De quelle manière ? Avec quelle intensité ? Quelle en sera la teneur ? Il y a, dans cette attente active, une autre question : serons-nous prêt·e·s ? Mais nous avons rarement le temps d’être prêt·e·s. Une dernière question se pose à nous lorsque l’événement surgit : cela nous concerne-t’ il ? Sommes-nous légitimes à rejoindre ce qui se passe ? Archéologues, pri·se·s entre plusieurs mondes (Culture, recherche, aménagement du territoire, associatif), à la fois dans le privé et dans le public, notre position fait notre hésitation. Pourtant, nous subissons de plein fouet les normes de la concurrence, de l’efficacité et la rentabilité qui nous précarisent, nous font abandonner et impactent la qualité de nos travaux pédagogiques ou scientifiques.
Dans le sillage de la grève
Aujourd’hui, il faut prendre toute la mesure de ce qui se joue et emboîter le pas. Ce qui se joue, c’est un bras de fer entre celles et ceux qui produisent et les oisif·ve·s dynastiques. Les premier·e·s voient leur existence se dégrader de jour en jour avec l’inflation, l’assèchement des protections sociales et la destruction des corps publics, les second·e·s accroissent leur pouvoir d’influence et augmentent de manière exponentielle leurs profits : 44 milliards de dividendes versés en France par les grandes entreprises entre avril et juin, soit une augmentation de 33% au second trimestre. Et pour cause : des groupes comme Total sont capables d’amasser des fortunes de l’ordre de 5,7 milliards net pour le seul deuxième trimestre 2022, contre les 2,2 milliards, précédent record, au même trimestre 2021. Le Covid leur avait déjà permis de profiter des plans de « soutien à l’économie », sans contrepartie: 100 milliards déboursés par l’État, par « solidarité ». Une « solidarité » calculée sur les coupes budgétaires du public et les réformes de la Sécurité sociale.
Sans plus de chiffres, on sait que les grèves pour l’augmentation des salaires se multiplient depuis la fin du premier confinement (mai 2020), dans le sillage du grand mouvement de l’hiver 2019-2020 porté par l’énergie des Gilets Jaunes et une opposition convergente contre la réforme des retraites, le plus long mouvement depuis mai 68. Le secteur de l’énergie a d’ailleurs été, aux côtés des transports, le plus mobilisé, y compris durant la phase des restrictions pandémiques. Depuis, toutes ces luttes n’ont fait que se multiplier localement. L’actuel mouvement partant du secteur de l’énergie a en réalité commencé en juin par des journées de mobilisation au sein des raffineries et en septembre dans les centrales nucléaires.
La brèche est ouverte
La situation d’aujourd’hui est le résultat de cette séquence de luttes et de l’entêtement du gouvernement, porte-voix des monopoles, à « déréguler », c’est-à-dire à privatiser le bien commun pour en faire des parts de marché lucratives.
Avec une inflation généralisée de plus de 6% endiguée par des mesures temporaires coûtant 45 milliards à l’État, et des « aides » au privé ayant augmenté de 215% entre 2006 et 2019 (trois fois plus vite que les aides sociales et cinq fois plus vite que le PIB), il est évident que la logique des grands groupes s’est substituée à la composante sociale de l’État. Tout est marchandise et chaque aide aux monopoles prise sur la dépense publique servira à justifier les réformes « structurelles » que l’Union Européenne impose dans un souci « d’équilibre budgétaire » : services publics, chômage, retraites ou Assurance Maladie y passeront par les « coupes ».
Nous pourrions évidemment multiplier les preuves de cette collusion d’intérêts (banquier·e·s d’affaires ou directeur·rice·s d’assurance devenant ministres ou présidents, sous-traitance au secteur privé de fonctions étatiques, …). Mais l’important est de voir que nous assistons à un mouvement d’ampleur répondant à cette évidence et dont l’issue dépendra de la capacité de chaque métier à se greffer sur cette dynamique.
Imposer nos revendications
En tant que groupe militant pour l’amélioration de nos conditions de travail et contribuant à élaborer une autre organisation de l’archéologie, nous défendons l’indépendance de la discipline. Les effets délétères de l’ouverture à la concurrence en 2003 en termes de conditions de travail, de salaire, de statut et de récolte des données, nous ont convaincu qu’un marché concurrentiel n’est pas souhaitable. Même un pôle public comme l’INRAP, déjà victime des politiques de rigueur, est obligé de s’aligner sur les conditions de cette privatisation, avec tout ce qui en découle : l’inclusion des normes marchandes, un manque d’effectif, des salaires stagnants depuis 20 ans et des augmentations cosmétiques ne rattrapant pas l’inflation de ces dernières années. Les mêmes causes touchent l’aménagement du territoire duquel nous dépendons et dont le dispositif de protection du patrimoine est soumis à la pression de puissants promoteurs (Vinci, Bouygues, etc.). Enfin, l’Université se transforme en immense arène où s’affrontent chercheur·se·s, laboratoires, instituts et universités, tandis que les associations sont largement privées de subventions lorsqu’elles ne répondent pas à la rationalité libérale.
C’est pourquoi, nous nous sommes toujours inscrit·e·s dans une dynamique interprofessionnelle, conscient·e·s que les problèmes de notre discipline dépendent avant tout de conditions extérieures. Les réformes structurelles passées et à venir, comme celles de l‘assurance chômage (passée le 11 octobre 2022) ou des retraites (à venir), vont également constituer un enjeu majeur pour la survie de notre discipline et un possible point de convergence avec d’autres métiers et secteurs que nous côtoyons.
D’urgence, sur la base de notre plate-forme de revendications, nous affirmons la nécessité d’en finir avec le bénévolat étudiant et tous les sous-contrats précaires offerts aux archéologues. Nous voulons une augmentation des salaires indexée sur l’inflation et rattrapant l’inflation des années précédentes, ainsi qu’une revalorisation générale de la grille salariale intégrant les années d’études.
Nous rappelons que l’archéologie, qui a pour objet d’étude le patrimoine matériel et immatériel des sociétés passées, est un bien public non monnayable. Sa « mise en sécurité sociale » profiterait donc à tou·te·s et serait un garde-fou contre les instrumentalisations politiques de l’histoire.
Dans l’immédiat, avec le peu de moyens que nous avons, nous apportons notre soutien aux grévistes et appelons de nos vœux à une contagion généralisée.
Facebook : Groupe Archéo En Lutte – Mail : archeoenlutte@framalistes.org