Je suis éducatrice spécialisée dans une association. Je travaille principalement avec des jeunes sur des questions liées aux principes de la citoyenneté. C’est en m’ancrant peu à peu dans cette association que mes interrogations ont germé. Je considère que les sujets abordés avec les jeunes – tels le consentement, la discrimination, le harcèlement – sont politiques.
Mon action s’inscrit dans une démarche de sensibilisation et de prévention par les échanges. À partir de ce constat, je considère que mes valeurs et mes opinions s’inscrivent dans ma pratique. Celle-ci est donc teintée de militantisme. En intervenant avec ces jeunes pour parler de ces sujets, je signifie quelque part que j’acte les mesures de l’Etat insuffisantes et qu’un renfort est nécessaire.
Pourtant le paradoxe est là : l’association pour laquelle je travaille annonce ne pas être militante et un grande nombre de mes collègues se disent en rejet vis-à-vis de cette posture. Dans nos échanges je sens une fuite – voire une peur – vis à vis de l’acte militant. Non, porter ces sujets ne serait pas militant parce qu’on ne serait pas là pour “faire des vagues”. Ce serait réaliser nos missions sans prise de partie, en accord avec les valeurs de la République (et des organismes subventionneurs, ceux-ci étant le ministère de la justice et la région). Le discours affiché est ainsi consensuel vis-à-vis des politiques publiques : faire rayonner les droits de chacun·e de manière neutre, donc.
Et c’est là que jaillit mon questionnement. Peut-on faire bouger les représentations en restant neutre ? Est-ce vraiment possible de parler, aujourd’hui, de consentement en gardant une certaine neutralité ? Est-il possible d’aborder ce sujet avec des jeunes – d’ailleurs très au faits des polémiques actuelles – sans évoquer la culture du viol, les inégalités de genre, le patriarcat et le féminisme ? J’ai donc interrogé des collègues et ami·es dans ce secteur. Ressentent-ils et elles leur travail comme un acte militant ?
Ce que j’ai pu observer c’est la pudeur des travailleurs et travailleuses du social quand il s’agit d’elleux : “Je ne fais pas ça pour me mettre en avant”, “Les bénévoles sont plus militant·es que nous”. Mes questions reviennent donc au galop : en quoi le·a bénévole serait plus militant·e ? Parce qu’iel le fait en dehors de toute considération salariale ? L’acte militant s’inscrit-il alors lorsqu’il est dénué de rémunération ? En quoi, en tant que travailleur·euse du social, l’acte diffère-t-il de celui du bénévole en dehors du salaire?
La piste de réponse que j’ai trouvée est dans le contrat de travail qui nous lie à une institution. Aujourd’hui, les institutions du social répondent bien souvent à des appels d’offres et donc à une commande politique. De part ce fonctionnement, celles-ci sont obligées de répondre aux attentes des financeurs. Les travailleur·euses étant ainsi parfois coincées dans un compromis entre valeurs et subventions.
Pourtant le travail social est né de nombreuses valeurs, si fortes que lors de ma formation j’ai souvent entendu que nous allions travailler avec l’espoir qu’un jour, la société n’aurait plus besoin de nous. Parce que notre métier – qui bien souvent fait tampon entre les politiques sociales et les publics accompagnés – en disparaissant, signifierait que notre société ne serait plus empreinte de violences et d’injustices, que les conflits seraient réglés en autonomie … Malgré ce discours, j’ai une fois de plus croisé peu de personnes militantes sur les bancs de cette formation du social.
Beaucoup d’entre elleux se disaient désintéressé·es des questions politiques et ne souhaitaient pas s’engager.
Comme dirait une travailleuse sociale avec qui j’ai pu échanger : “On ne va plus manifester ou partager notre mécontentement parce qu’on pense toujours ne pas être assez légitime”. C’est aussi ce que j’ai pu observer en formation et sur le terrain. Notre travail nous amène en effet à accompagner des personnes dans des situations de grandes précarité – sociale, mentale, matérielle, financière, comment pouvons-nous revendiquer quoi que ce soit alors qu’elleux ont encore moins ?
J’ai la sensation que ce prétexte est pratique et qu’il est renforcé par l’invisibilisation de notre travail dans les médias, les discours et les reconnaissances – je n’ai pas entendu une fois notre métier être cité lors des discours présidentiels sur les acteurs et actrices mobilisé·es durant la pandémie. Le silence qui tourne autour de mon métier m’inquiète parfois et j’ai l’impression qu’il alimente notre silence, à nous.
Alors, où se situe l’acte militant dans mon métier ?
Peut-être que la question réside dans le terme lui-même et dans la représentation que les gens s’en font. Quand mes collègues et mes camarades de promo semblent frileux·ses à l’idée d’être militant·e, cela m’évoque une frilosité plus générale à s’opposer. Lorsque pour moi être militante signifie m’engager pour les valeurs que je défends, pour d’autres ce sera faire preuve de colérisme et de manque de calme.
Pour finir, je me pose cette question : que veut dire être militant·e aujourd’hui si on ne peut pas l’être dans son travail ? En ce qui me concerne, je tente de trancher mon positionnement. Je fais ce métier pour faire rayonner autant que je peux des valeurs qui me semblent justes. Travailler dans une structure où l’on peut entendre “le féminisme, c’est pour les militants » me paraît un compromis difficile.
Mon acte militant résiderait donc dans le choix de me mobiliser sur un terrain glissant ainsi que dans ma posture professionnelle.
Laïlis