Texte fondateur du Groupe Archéo En Lutte – Alsace diffusé après sa première Assemblée générale, en plein mouvement contre la réforme des retraites, de l’assurance-chômage et de la LPPR (Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche), renommée LPR (Loi de Programmation de la Recherche).
Replis identitaires, gestion de l’environnement, raréfaction des matières premières, organisations sociales : autant de sujets d’actualité que permet de penser l’étude des sociétés du passé. Pour ce faire, les archéologues sont en charge du patrimoine commun constitué par les archives du sol qu’il leur revient d’exhumer, d’analyser et de restituer à la communauté. Aujourd’hui, qu’ils travaillent à l’université, au CNRS ou pour un opérateur en archéologie préventive (public ou privé), tou.te.s subissent des détériorations de leurs conditions de travail liées aux logiques de marché.
Les dysfonctionnements commencent au sein du monde universitaire, de plus en plus soumis aux logiques concurrentielles opposant chercheurs.euses, laboratoires et universités. Le manque de financements à tous les niveaux, le non renouvellement des postes fixes, l’emploi massif de vacataires comme variable d’ajustement, l’organisation de formations souvent inadaptées pour des étudiant.e.s sachant rarement ce qui les attend sur le terrain, et les impératifs à produire de la donnée à tout prix par souci de rendement ne garantissent pas les conditions d’une recherche critique, indépendante et ouverte sur la société.
L’archéologie préventive a pour vocation la gestion du patrimoine menacé quotidiennement par des travaux d’aménagement – Grand Contournement Ouest de Strasbourg, plateformes d’activités, centres commerciaux, lotissements. Or, ce travail est bien souvent soumis à la pression de la guerre commercialeentre opérateurs, publics comme privés. L’essentiel des moyens est dédié à des sauvetages urgents, au détriment des travaux de synthèse et de diffusion du savoir.
Parconséquentlaprécaritééconomiqueestlelotd’ungrandnombredetravailleurs.euses.Les opérateurs ont massivement recours à des employés en CDD, voire au statut d’intérimaire, qui sont la majorité de celles et ceux qui cherchent du travail à la sortie de leurs études. Les étudiant.e.s précaires deviennent ainsi des actifs précaires, et ce pour de longues périodes, sans que la qualification ou l’expérience accumulée ne leur garantissent un emploi stable dans le futur. Déjà pénalisés pour trouver un logement ou accéder à un prêt, ils étaient néanmoins indemnisés par l’assurance chômage durant les périodes de carence ou de réduction d’activité. Mais la réforme de cette dernière et la baisse effective des allocations aggrave d’autant plus leur condition en les condamnant à la misère entre deux contrats.
Concurrence et précarité ont aussi pour effet de durement miner les conditions de travail et finissent par émousser les plus grandes motivations. La pénibilité physique est renforcée par des interventions hivernales ou de longues périodes passées exclusivement sur le terrain. L’organisation et la répartition tayloriste des tâches produisent des données de terrain médiocres et donnent à beaucoup le sentiment de n’être que des pions interchangeables au savoir-faire méprisé. D’où une perte de sens d’un métier qui, comme peu d’autres, associe pourtant étroitement travail physique et intellectuel.
Quand l’obtention d’un poste fixe ou d’un CDI ne vient pas rompre ce cycle, reste alors l’abandon pur et simple de l’archéologie en tant que métier. Car lorsque le corps s’use ou que l’envie légitime d’avoir une situation stable supplante la passion originelle, la plupart des archéologues sont contraints à une réorientation. Et, outre le goût amer d’un immense gâchis partagé par des générations entières, se pose alors la question de la transmission des savoirs et des savoir-faire au sein même de la profession. Comment imaginer un renouvellement générationnel et un recrutement de qualité lorsqu’on dilapide ses forces vives ?
Qu’ils dépendent de choix politiques nationaux ou de pratiques locales, tous ces dysfonctionnements ne sont pas une fatalité. Des solutions concrètes doivent être mises en œuvre afin d’amorcer une nouvelle dynamique à l’encontre des logiques actuelles.
A nous de les imposer avec celles et ceux qui s’organisent partout en France !
Nous revendiquons :
I. Retrait du projet de la réforme des retraites aggravant nos conditions de vie.
L’entrée tardive dans la vie active, suite à de longues études et des carrières ponctuées de nombreuses périodes de carence/chômage, ne permet pas le cumul de suffisamment de points pour un départ à taux plein à 63 ans. La pénibilité des tâches imposées à de nombreux travailleurs et travailleuses, rend d’autant plus inenvisageable le prolongement de leur activité au-delà de cet âge.
II. Retrait de la réforme de l’assurance chômage rendant impossible notre métier.
Cette réforme, entrant entièrement en vigueur en avril prochain, aura pour effet la baisse substantielle de nos allocations. Des pertes sèches de plusieurs centaines d’euros ne nous permettront plus de vivre entre nos contrats : c’est la fin programmée de l’archéologie.
III. Création nouveaux postes d’archéologues permanents.
Embauche à la hauteur des besoins et dans les conditions d’un CDI.
IV. Respect des directives suivantes en cas de contrats courts :
- Contrats d’une durée minimum de 6 mois afin de pallier la précarité grandissante avec l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance-chômage.
- Refus des Contrats saisonniers et des Contrats de Projets.
- Pour un respect du délai légal de proposition de renouvellement de contrat.
- Réception obligatoire du contrat avant la mission.
- Alignement des conditions d’évolution des salaires des CDD sur celles des CDI.
- Obligation d’un temps d’accueil systématique pour les primo-contractants en début de chantier et entretien professionnel en fin de contrat.
V. Redéfinition du métier de « technicien », mission généralement effectuée par des CDD.
- Respect d’une proportion de temps passé sur le terrain et de temps passé en post-fouille (75 % terrain, 25 % post fouille).
- Association des « techniciens » à l’organisation des phases de terrain et de post-fouille.
- Accès aux jours de recherche et de formation pour les « techniciens ».
- Élaboration d’un socle technique de base pour tous les archéologues et mise en place de formations dès la première embauche (Sécurité sur les opérations archéologiques, SST, travail à proximité des réseaux).
- Reconnaissance de la pénibilité du métier pour toutes et tous, peu importe le statut (privé, public, stagiaire, contractuels, etc.).
VI. Engagement des services de l’État, scientifiquement justifiés, à refuser certaines conditions d’intervention (trêve hivernale, fortes chaleurs…).
VII. Retrait des Universités et des institutions de recherche comme le CNRS des logiques concurrentielles imposées par le marché.
Que ce soit par le classement de Shanghai ou la Loi de Programmation de la Recherche, assumée « inégalitaire » et « darwinienne ».
VIII. Resserrement des liens entre l’Université et l’archéologie préventive.
Pour qu’il n’y ait plus deux mondes distincts, celui des techniciens d’un côté et celui des chercheurs de l’autre, mais une imbrication rendant possible une archéologie totale où le taylorisme n’aurait plus cours. Cette mesure permettrait de stopper l’hémorragie des abandons et d’assurer de meilleures conditions pour la transmission des savoirs-faire.
IX. Élargissement du financement public des thèses de recherche.
- Attribution d’au moins 20% des sommes défiscalisées par les entreprises dans le cadre du crédit impôt recherche.
- Augmentation du temps de recherche financé pour permettre plus de terrain.