Communiqué du Groupe Archéo En Lutte – Alsace (29 avril 2021)

Communiqué du Groupe Archéo En Lutte – Alsace (29 avril 2021)

Pour une relance des conquêtes sociales

Le monde d’après tant prophétisé durant le premier confinement s’est donc réalisé : celui du dernier stade de l’enfermement par une série d’aménagements redéfinissant le rythme et l’espace de nos vies professionnelles, sociales et intimes. L’ère pandémique des priorités imposées à nos existences.

Le « télétravail », projet de longue date d’atomisation du salariat enfin rendu « nécessaire », le couvre- feu et l’état d’urgence sanitaire, mesures martiales puisque « nous sommes en guerre », les attestations, habituant à être en règle et d’ailleurs invalidées par le Conseil Constitutionnel, les gestes barrières, devenues coutumes et même devoir citoyen … comme si l’état de la courbe pandémique dépendait de la somme des « petits gestes » consentis individuellement et non de l’organisation collective et des moyens mis à disposition de la société pour prendre en charge, soigner ou rouvrir dans de bonnes conditions les lieux de création et de découverte. Bars, restaurants, musées, universités, théâtres, cinémas, salles de concerts, autant de centres de l’émulation sociale sacrifiés. « Le continent pandémique » est aussi celui qui confine notre pensée par une série de dualités qui désorientent. Les catégories « distanciel – présentiel » ou « essentiels – non essentiels » sont aujourd’hui largement employées pour justifier des choix politiques qui creusent toujours plus les inégalités, aggravent les conditions de travail, la détresse psychologique et la précarité. Des choix dictés par une logique qui depuis 40 ans affaiblit tous les dispositifs collectifs de partage des services, de création de richesses et de prise en charge du salaire, pour privilégier, à tous les niveaux, la concurrence entre structures et entre travailleurs et travailleuses. C’est bien ce désengagement massif de l’État et les cadeaux fiscaux aux plus grosses entreprises qui ont mené à l’impuissance des institutions censées répondre à nos besoins.

L’injonction à « s’adapter », c’est-à-dire à être mis en concurrence, a pris toute son ampleur avec l’arrivée de l’agent pathogène révélateur des effets du démantèlement des services publics et accusateurs des logiques que nous combattons. La « résilience » est donc devenue l’objectif des efforts à fournir pour surmonter cette crise. Mais c’est surtout elle qui pousse les entreprises à baisser leurs prix, à opérer des coupes franches et au final à embaucher moins, moins bien, et plus polyvalent; tandis que c’est cette même injonction qui pousse les travailleurs et travailleuses à se « flexibiliser » : c’est-à-dire à accepter n’importe quel poste dans n’importe quelle condition, à se vendre comme marchandise et à ne surtout pas broncher lorsqu’un dysfonctionnement plus ou moins légal menace son existence. Dans ce cadre-là, rien d’étonnant à ce que le régime de l’intermittence et de l’assurance chômage soit l’une des cibles prioritaires de la logique portée par le gouvernement, avec les retraites. C’est pourtant un système de répartition permettant de s’affranchir de l’angoisse de la survie entre deux contrats ou face à l’imprévu, et qui porte en lui la possibilité de la « libre production des mains et de l’esprit » ! Rien d’étonnant non plus à ce que la culture soit taxée de « non- essentielle » lorsque des milliards sont distribués aux grands groupes qui, eux, peuvent garder les portes de leur commerce ouvertes. Ce que nous désirons c’est moins un plan de relance qu’un plan de bascule, car nous ne voulons ni persévérer sur la voie de la précarité, ni sur celle de la dégradation de nos conquêtes sociales. Alors que s’annonce une crise économique aux effets à peine différés en archéologie (chantiers reportés ou renouvellement de postes existants), mais terribles, nous souhaitons passer de la chasse à la survie et aux profits, à la création indépendante et désintéressée de richesses artistiques et scientifiques, ainsi qu’à la préservation du patrimoine matériel (culturel et environnemental) mis en danger par la dérégulation de l’aménagement.

Bien que les spécificités de l’archéologie l’éloignent du rythme du mouvement actuel, elle fait partie intégrante du secteur de la culture. La vague de mobilisations locales, couplée à la tentative du passage en force de la réforme de l’assurance chômage, nous fait dire que la convergence est le seul moyen de rendre audibles nos revendications, et donc de sauver notre métier !

Car la situation de la culture est à l’image du rapport de force existant et nos conditions d’existence ne seront jamais que le reflet de nos conquêtes !

Nous revendiquons :
I. Retrait de la réforme de l’assurance-chômage rendant impossible notre métier.

Cette réforme, entrant entièrement en vigueur le 1er juillet prochain [le 01 octobre 2021 pour le nouveau mode de calcul et le 01 décembre pour l’accès aux prestations], aura pour effet la baisse substantielle de nos allocations (de 17% à 43% pour 1.15 millions de personnes selon l’Unédic), un durcissement de l’accès aux indemnités et leur amenuisement progressif du fait du nouveau mode de calcul. En bref, de plus en plus de monde sera impacté avec le temps. D’entrée de jeu, 365.000 personnes seront concernées par le plancher, c’est-à-dire le maximum des 43% de baisse des allocations (passage de 885€ à 622€ en moyenne). Concrètement, ces pertes sèches de plusieurs centaines d’euros ne nous permettront plus de vivre entre nos contrats : c’est la fin programmée de l’archéologie. Le contexte pandémique, et bientôt de crise économique, impose au contraire le maintien et l’extension d’un régime collectif étendu, garantissant une continuité du salaire entre deux contrats, et protégeant ainsi la population de l’arbitraire du marché et de des aléas des événements.

II. Retrait du projet de la réforme des retraites aggravant nos conditions de vie.

L’entrée tardive dans la vie active, suite à de longues études et des carrières ponctuées de nombreuses périodes de carence/chômage, ne permet pas le cumul de suffisamment de points pour un départ à taux plein à 63 ans. La pénibilité des tâches imposées à de nombreux travailleurs et travailleuses, rend d’autant plus inenvisageable le prolongement de leur activité au-delà de cet âge. Cette réforme est particulièrement discriminante pour les contractuels qui forment une grosse partie de la profession dont les contrats sont raccourcis et entrecoupés de la période d’inactivité. Elle est d’autant plus discriminante pour les femmes, car elle ne tient pas compte des congés maternités, considérés comme des périodes d’inactivité (sans cumul de points). La réforme des retraites a été reportée pendant le premier confinement grâce à la pression d’une mobilisation d’ampleur et d’une grève de près de 2 mois. Pourtant, le 14 novembre 2020, deux mesures de la réforme passées en 49.3 à l’Assemblée nationale le 29 février 2020 ont été adoptées au Sénat dans une proposition de loi sur le financement de la sécurité sociale:

  1. le report de l’âge de départ en retraite, à 63 ans et plus
  2. l’allongement de la durée des cotisations, à 43 annuités
III. Création de nouveaux postes d’archéologues permanents.

En plus du renouvellement des postes pérennes pour compenser les départs à la retraite, il est nécessaire de créer des embauches à hauteur des besoins et dans les conditions d’un CDI, ainsi qu’une revalorisation urgente des grilles salariales.

IV. Respect des directives suivantes en cas de contrats courts :
  1. Contrats d’une durée minimum de 6 mois afin de pallier la précarité grandissante avec l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance-chômage.
  2. Refus des Contrats saisonniers et des Contrats de Projets.
  3. Pour un respect du délai légal de proposition de renouvellement de contrat.
  4. Réception obligatoire du contrat avant la mission.
  5. Alignement des conditions d’évolution des salaires des CDD sur celles des CDI.
  6. Obligation d’un temps d’accueil systématique pour les primo-contractants en début de chantier et entretien professionnel en fin de contrat.
V. Redéfinition du métier de « technicien », mission généralement effectuée par des CDD.
  1. Respect d’une proportion de temps passé sur le terrain et de temps passé en post-fouille (75 % terrain, 25 % post fouille).
  2. Association des « techniciens » à l’organisation des phases de terrain et de post-fouille.
  3. Accès aux jours de recherche et de formation pour les « techniciens ».
  4. Élaboration d’un socle technique de base pour tous les archéologues et mise en place de formations dès la première embauche (Sécurité sur les opérations archéologiques, SST, travail à proximité des réseaux).
  5. Reconnaissance de la pénibilité du métier pour toutes et tous, peu importe le statut (privé, public, stagiaire, contractuels, etc.).
  6. Abandon du « CDI-chantier », corollaire du « CDI-projet » de l’Université, présenté comme solution alors qu’il ne s’agit que d’une forme de CDD : il consiste en effet à signer un contrat le temps d’un chantier ou d’un projet de recherche et contrevient par là à la logique même du CDI censé assurer des droits sociaux et une garantie de subsistance sur le long terme.
VI. Engagement des services de l’État, scientifiquement justifiés, à refuser certaines conditions d’intervention (trêve hivernale, fortes chaleurs…), avec une garantie de la continuité du salaire des travailleurs et travailleuses.
VII. Retrait des Universités et des institutions de recherche comme le CNRS des logiques concurrentielles imposées par le marché.

Que ce soit par le classement de Shanghai ou la Loi de Programmation de la Recherche, assumée « inégalitaire » et « darwinienne », promulguée le 24 décembre 2020 au plus fort de la crise pandémique ayant étouffé la contestation.

VIII. Abroger la limite des 28 ans à partir de laquelle il n’est plus possible de percevoir la bourse étudiante sur critère social (CROUS), revaloriser celle-ci au niveau du seuil de pauvreté (fin de l’échelon arbitraire), sur tous les mois de l’année, et garantir son inconditionnalité (fin des critères d’éligibilité discriminants).

Ces mesures interdépendantes permettraient d’endiguer la misère à l’Université en garantissant l’équilibre physique et psychologique des étudiant.e.s. Elles se font d’autant plus urgentes qu’avec la situation pandémique indéfinie, l’accès à des jobs alimentaires, nécessaire à 1 étudiant sur 2, est fortement compromis.

IX. Resserrement des liens entre l’Université et l’archéologie préventive.

L’instauration de stages pris en charge par les entreprises d’archéologie préventive permettrait de faire connaitre la réalité du travail aux étudiants bien avant leur emploi. Cette mesure serait une première étape pour qu’il n’y ait plus deux mondes distincts, celui des techniciens d’un côté et celui des chercheurs de l’autre, mais une imbrication rendant possible une archéologie totale où le taylorisme n’aurait plus cours. Elle permettrait de stopper l’hémorragie des abandons et d’assurer de meilleures conditions pour la transmission des savoirs-faire.

X. Élargissement du financement public des thèses de recherche.
  1. Suppression du Crédit Impôt Recherche, système d’exonération fiscale des entreprises destiné à la recherche privée à visées économiques et industrielles, établissant un cadre concurrentiel inadapté. Redistribution du budget ainsi libéré pour la recherche publique au sein des laboratoires (unités de recherche), selon les besoins formulés par les chercheurs et chercheuses.
  2. Augmentation du temps de recherche financé pour permettre plus de terrain, d’échanges avec la communauté et le public, mais aussi l’élaboration de propositions interprétatives de qualité; la moyenne pour terminer une thèse en sciences humaines et sociales étant de 6 à 8 ans à l’échelle européenne, alors que les financements ne dépassent actuellement pas 3 ans.

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