Bilan et positions à l’issue de la rencontre interrégionale des 10 et 11 juillet 2021
Les 10 et 11 juillet 2021 s’est déroulée l’Assemblée Générale des Groupes Archéo en Lutte, en présentiel et distanciel. Les voix entendues représentaient les GAEL Alsace, Île de France, ainsi que des militants syndicaux. Malgré la difficulté à nous rencontrer au vu de la situation sanitaire, de l’épuisement de ces derniers mois et de la distance, les participant.e.s ont réaffirmé leur détermination à poursuivre leur combat pour l’amélioration des conditions de travail et de recherche de notre discipline. Les discussions se sont déroulées selon deux axes : dans un premier temps, le bilan des GAEL au sortir d’une période de confinements et de restrictions à répétition et, dans un second, les perspectives et le ton à donner à nos luttes.
Les GAEL sont toujours actifs !
La section Alsace a élaboré une proposition de texte de refondation de l’archéologie durant le premier confinement, qui a été diffusée en interne et favorablement reçue selon les retours qui en ont été faits. Ce texte, soulignant les possibilités d’un métier irrigué par une sécurité sociale novatrice capable de répondre à nos besoins particuliers et inspirée de l’intermittence et du régime général, est encore à travailler et à discuter puisqu’il est destiné à devenir le fondement de notre mouvement. Suite au déconfinement, l’effort de convergence (effort entamé dès la fin 2019) a été prolongé, d’abord dans le cadre d’Assemblées Générales interprofessionnelles, regroupant divers secteurs dans des actions et des réflexions communes (soignant.e.s, avocat.e.s, cheminot.e.s, enseignant.e.s, professeur.e.s des écoles, chercheur.euses, étudiant.e.s, personnels des universités, conducteurs.trices de bus, etc.), ce qui a débouché sur une participation au 1er mai et à diverses initiatives (débats, manifestations, réunions). Ensuite, en tissant des liens avec le monde de la culture durant le mouvement d’occupation des théâtres (TNS, Conservatoire de Strasbourg) de mars à mai 2021, ayant permis d’approfondir la question de l’intermittence. La tenue d’un stand du GAEL lors de la kermesse des luttes du 1er mai et la participation à des débats publics ont, quant à elles, favorisé une prise de recul sur nos revendications aux côtés de divers acteurs du mouvement social. Enfin, à la demande d’étudiantes en archéologie de l’Université de Strasbourg, nous avons pu intervenir à la fin d’un séminaire de master pour présenter le groupe et les enjeux de notre lutte.
Le GAEL Île de France, quant à lui, a fourni de fructueux résultats concernant le questionnaire sur les conditions de travail qui avait été mis en place à la sortie du premier confinement et qui a récolté, à ce jour, 1670 réponses. Même si le traitement des données est toujours en cours, les premiers résultats sont déjà compilés dans un fascicule qui sera largement diffusé une fois le second achevé. Cela dit, les premiers recoupements ont déjà permis d’étayer des communications à l’adresse des étudiant.e.s. afin de sensibiliser les nouvelles générations aux problématiques de notre profession. Par ailleurs, le GAEL Île de France a signalé sa présence au cours de plusieurs manifestations.
Ces actions ont été menées dans le cadre de la lutte contre la mise à bas de l’assurance-chômage et de notre système de retraite. Les dernières annonces gouvernementales ont été claires : les mesures prévues seront appliquées quoi qu’il en coûte, et ce même si la population est largement défavorable et que la crise pandémique a révélé la supériorité du régime général protégeant les travailleurs.euses des aléas par un salaire continué reposant sur la socialisation de la valeur ajoutée.
Constats sociaux
Outre les contre-réformes évoquées plus haut, l’organisation actuelle de l’archéologie favorise indéniablement la précarité et nous rend particulièrement vulnérable au feu croisé des reculs sociaux dont l’effet majeur de la mise en concurrence recherché est le nivellement vers le bas des salaires et des prestations. Des communications ont fait état de cette problématique récurrente.
Le cas de l’INRAP est révélateur. Les grilles salariales sont toujours basées sur celles de l’époque de fondation de la structure (2001), ce qui a entraîné un gel de revalorisation depuis 2002. Actuellement, les grilles des salaires sont sur la table des négociations. Les syndicats ont, pour l’heure, obtenu une petite prime de compensation de 100 à 200 euros. Le véritable enjeu reste bien l’obtention d’une réelle hausse du salaire basée sur l’indiciaire et un plan d’embauche prenant en compte les besoins scientifiques considérables de l’archéologie ainsi que toute la potentialité des jeunes archéologues. Ceux-ci sont d’ailleurs déjà trompés dans leurs habitudes par l’acceptation forcée, dès l’Université, du travail non rémunéré, et parfois même payant, à travers les stages de fouilles programmées ou des projets de recherche de master qui constituent pourtant une production scientifique essentielle pour les laboratoires. Un état de fait alarmant qui normalise et ancre dans les consciences, avant même l’entrée dans le monde professionnel en tant que tel, un réflexe de consentement servile masquant le passage d’un état de précarité (étudiant) à un autre (salarié). Car il faut comprendre que le premier salaire est généralement celui d’une catégorie 2, ce qui revient à un salaire inférieur au SMIC, à peine compensé par une petite prime de précarité. Comme l’a démontré l’enquête menée par le GAEL Île de France, une majorité d’archéologues a un bagage universitaire minimum de Bac +5. Il est donc évidemment indécent de ne pas être rémunéré à la hauteur du temps passé à étudier pour atteindre un statut équivalent à celui d’un cadre !
Cet immobilisme du ministère de la Culture, rendu impuissant par un État dont la politique est exclusivement guidée par la « compression des budgets » et la délégation sans conditions aux intérêts privés, est la porte ouverte au développement de postes sous-payés, sans prise en compte du niveau d’étude et d’expérience de terrain. À ce titre, le terme de « technicien » utilisé pour faire disparaître la réalité de notre bagage scientifique doit être abandonné et les salaires réévalués d’après cette réalité. La pression pour le salarié est d’autant plus conséquente que l’archéologue formé n’est pas une denrée rare, le nombre de primo-entrants étant beaucoup plus important que les places disponibles.
Pour pouvoir vivre, nombre d’archéologues sont obligés d’enchaîner les CDD, cet emploi au rabais, pris dans le cercle de la multiplication des contrats et de l’obligation de mobilité. Ce système permet à l’employeur d’adapter ses effectifs plus facilement en fonction des impératifs comptables et ainsi vendre des services moins chers sur le marché des prestations. En d’autres termes, c’est le retour progressif de la logique d’une rémunération à la tâche qui non seulement nuit à la qualité scientifique de la récolte et du traitement des données, mais encore à la reconnaissance du monde associatif. Trop souvent oublié, il tient cette place d’interface vitale pour le patrimoine, assurant un ancrage territorial durable à l’archéologie (parfait complément au préventif) et une intégration participative de la population locale à une démarche scientifique dans un mouvement de réciprocité. Soit l’un des outils centrauxde la lutte contre les replis identitaires, la fracture entre la ville et la campagne, les intellectuels avec le reste de la société ou encore face à un complotisme alimenté par le « gouvernement des experts » et ses techniques d’infantilisation empruntées au manageriat.
D’après les premiers résultats du questionnaire, les nouveaux arrivants doivent subir en moyenne une période de précarisation contractuelle d’environ 7 ans avant de se voir offrir un CDI. Et si cette opportunité est ratée, elle peut ne plus se présenter avant bien plus longtemps, voire tout bonnement disparaître. A l’image de ce qui se passe à l’Université, l’hémorragie des vocations n’est même pas quantifiable mais sans aucun doute conséquente.
Notre action et notre horizon
Dénoncer ces logiques peut s’avérer individuellement problématique car, comme cela a déjà été évoqué, le décideur (l’employeur) n’a aucun problème à trouver un autre employé, si l’actuel décide de lutter. C’est pourquoi la responsabilité des GAEL est de fournir un cadre de légitimation en capacité de se faire l’écho des aspirations au respect des archéologues les plus précaires.
Les GAEL sont des collectifs de réflexion et de lutte dont l’objectif est de fédérer la profession, et notamment les nouvelles générations, autour d’une vision de l’archéologie sociale, soucieuse de l’environnement, d’un patrimoine considéré comme bien commun, et pour se faire respectueuse des conditions de travail et de vie de ses diverses composantes.
Les personnes présentes à l’AG de juillet 2021 se sont entendues sur certains points définissant une orientation concrète. Nous existons pour rendre visibles les injustices et les aberrations structurelles de notre profession, mener des enquêtes de fond sur nos conditions de travail et d’étude, informer les archéologues et la population de l’état inquiétant de notre métier, fédérer celles et ceux qui veulent œuvrer à l’amélioration de notre statut et refonder des institutions sociales à même de répondre aux enjeux de notre survie matérielle. Nous nous adressons aux sans- voix de l’archéologie, du préventif au programmé, du précaire au CDI en passant par le bénévole et l’étudiant.e. Conscient.e.s que si le combat à mener doit se faire avec les syndicats, nous devons aussi avancer en toute indépendance organisationnelle et critique. Ainsi, nous souhaitons participer, soutenir et offrir des données à l’action syndicale, tout en développant nos propres modes d’action et outils de réflexion. Il nous parait de plus essentiel de continuer à tisser des liens forts avec les autres secteurs, en premier lieu parce que nous devons faire face aux contre-réformes sociétales des gouvernements libéraux, comme celles des retraites ou de l’assurance chômage (rappelons d’ailleurs que les GAEL sont nés dans le cadre du mouvement interprofessionnel de fin 2019-début 2020, contre les réformes des retraites, de l’assurance-chômage et de l’Université). Ensuite, particularité de notre métier, parce que nous nous situons au carrefour de plusieurs mondes, à savoir ceux de la Culture, de la recherche, de l’enseignement, de l’associatif et de l’aménagement.
Nos groupes s’étant constitués régionalement, l’objectif est à présent de nous organiser à plus grande échelle et de manière fédérative dans la perspective d’accentuer notre impact, de gagner en visibilité et de créer un véritable réseau de solidarité et d’échange. Suite aux discussions de ce premier week-end de rencontre des GAEL, des groupes ouverts de réflexion et d’action ont été proposés autour de grands thèmes : dernière mise en forme des résultats du questionnaire axé sur la précarité en archéologie, mise en œuvre d’une plate-forme de revendication cohérente et commune à tous les GAEL, création d’une charte-manifeste formulant l’archéologie que nous défendons dans l’immédiat et à long terme, travail sur l’état des lieux du fonctionnement de l’archéologie dans différents pays d’Europe dans le but d’alimenter notre réflexion, cellule de veille afin de recueillir et de dénoncer publiquement et le plus rapidement possible les problèmes rencontrés au sein d’une structure de l’archéologie.
Plus que jamais, nous sommes engagés dans une lutte de longue haleine qui nécessite patience et méthode. À l’heure où notre métier se trouve être structurellement en péril, notre combat doit continuer pour préserver la flamme de notre passion, libérer notre travail des normes du marché et dégager nos vies de l’incertitude de la survie matérielle. Puisque l’amélioration de nos conditions de travail ne dépend que de notre capacité à établir un rapport de force favorable à nos revendications, nous n’aurons de cesse de nous renforcer avec toutes celles et ceux qui le souhaitent !
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